En 1966 à Houston, Mayo Thompson fonde The Red Crayola, avec Steve Cunningham et Rick Barthelme. Influencés par Country Joe Fish, John Fahey ou Van Dyke Parks, le groupe sort un premier album en 1967. Sur The Parable of arable land, il est accompagné en studio par le collectif texan hippie « The Familiar Ugly », une cinquantaine de non-musiciens (comprenant notamment Rocky Erickson du 13th Floor Elevator), qui joue guitare, batterie, diverses percussions, qui chante et crie pendant des sessions intitulées « Free forms freak-outs », pour un des albums psychédéliques les plus influents de la période « acid » du rock américain (les Spacemen 3 reprendront plus tard Transparent radiation). Les Red Crayola sont déjà à contre-courant de tout ce qui fait le mainstream de l’époque et semblent vouloir produire une critique musicale de l’organisation économique de la pop-music telle qu’elle se dessine alors, avec trois impératifs : « expérimenter, ne pas répéter, ne pas reproduire ». « Pourquoi refaire ce qui a déjà été fait ? » s’interroge Mayo Thompson en 1968 quand il enregistre le deuxième album des Red Crayola, God bless The Red Crayola and all who sail with it, avec un nouveau line-up (inaugurant une constante dans la carrière du groupe : les changements d’effectifs à chaque nouvelle incarnation, Thompson se chargeant de rassembler les énergies).

Fragmentée, expressive, bruyante, pas très loin des Godz ou des Silver Apples, la musique des Red Crayola ne s’embarrasse pas de contraintes techniques (les instrumentistes sont limités, les enregistrements sans réels budgets) et se défie des codes musicaux en vigueur (pas de répétition couplets-refrains, instruments désaccordés), inventant un rock qu’on dira « intellectuel », en fait pré-punk, mariant avant-garde et garage-rock pour créer ce que Père Ubu appellera plus tard « avant-garage », qui tient autant à l’immédiateté et à l’accessibilité de la forme chanson-électrique qu’à l’énoncé de discours critiques et politiques. Car, pour Thompson, ce sont les mots qui priment et donnent leur nécessité aux musiques : narratives ou surréalistes, associations libres ou slogans politiques, explicites ou elliptiques, les chansons de Mayo Thompson seront, depuis son album folk solo Corky’s debt to his father (1968), autant d’occasions d’entendre sa voix unique, parlée-chantée, un peu chevrotante, toujours à la lisière du juste, ou du faux, funambule sur de longues phrases contrapunctuelles. Surtout, cette manière unique de poser des mots sur sa musique fonde également la posture critique de Mayo Thompson devant les codes manipulatoires de la pop et du rock. Distance et ironie, dans le jeu (m’en-foutisme) et le chant (retenue) font partie de l’arsenal critique déployé en musique par les « rouges » Crayola.

De The Parable of arable land (1967) à Fingerpainting (2002), Mayo Thompson va décliner la géométrie variable de ses Red Crayola en plusieurs villes-témoins et au gré de rencontres toujours productives : New York 1973, il travaille avec le groupe d’art conceptuel Art & Language ; Londres 1976, il enregistre Corrected slogans avec Mel Ramsdem et Michael Baldwin de la section anglaise d’Art & Language ; Londres toujours, entre 76 et 79, avec le batteur Jesse Chamberlain pour le label Radar Records, puis avec Lora Logic, Epic Soundtrack, Gina Birch et Pere Ubu, sous la protection de Geoff Travis de Rough Trade, label que va rejoindre Thompson dès 1979. Il va alors discrètement produire les groupes du nouveau label indépendant (Stiff Little Fingers, les Virgin Prunes, The Fall) et sera guitariste de Pere Ubu de 1980 à 1982. C’est David Grubbs qui le redécouvre en 1993 et vient le chercher en Allemagne où il vit et compose confidentiellement depuis 1989 pour lui faire enregistrer à Chicago The Red Krayola, accompagné notamment de Jim O’Rourke, John McEntire ou Stephen Prina, dans un nouveau super collectif à la mode américaine. Mais ce sont surtout Amor and language, l’incroyable Hazel et le plus sobre Fingerpainting qui déploieront à nouveau son art unique des assemblages antagonistes, du chant offbeat et des variations vocales intempestives. Aujourd’hui sort une compilation intitulée Singles, qui regroupe effectivement tous les singles composés par Mayo Thompson. Un titre ironique pour un groupe qui s’est toujours attaché à rejeter la fonction d’entertainment de la musique, mais qui donne l’occasion d’aider les profanes à faire le tour (sélectif) de la question.