De la Seconde Profanation du Temple. Ou: Vous reprendrez bien un peu de purée ?

S’agissant des Lips, la conscience professionnelle devrait nous contraindre à poser la question: mais quand tout a-t-il donc commencé à partir en couille ? Car les Flaming Lips, c’est un début de carrière chaotique et valable, suivi d’une explosion assez phénoménale qui ouvre sur une quinzaine d’années un ride exceptionnel d’albums littéralement magiques: Zaireeka, The Soft Bulletin, Yoshimi Battles The Pink Robots, At War With The Mystics, Embryonic, The Terror et la belle miniature Peace Sword. Sur la fin de cette série sans-faute, les signes, déjà, d’un éparpillement conceptuel rassuraient un peu (on peut sortir un disque aussi imposant que The Terror et rester de grands gamins) en même temps qu’ils pouvaient inquiéter: les gars, des bonbons en forme de tête de mort et des side-projects electro-kraut-punk, vraiment ? Symbole possible de ces égarements: le patron Wayne Coyne s’acoquinant avec la twerk-starlette Miley Cyrus qui, samplée sur le dernier album des bons élèves Alt-J , se fait décidément égérie aux deux extrémités du prisme hipster. Et cette wannabe Madonna formerly known as Hannah Montana se retrouve donc au casting de… la reprise in extenso de l’album pop canonique entre tous – Sgt Pepper’s Lonely Hearts Club Band – par les Flaming Lips. Casting interminable dans lequel on retrouve aussi My Morning Jacket ou – purée – Moby.

 

 

Voici donc venu le temps de la Seconde Profanation du Temple. Seconde ? Oui, car personne ne s’en souvient mais les -purée- Bee Gees, accompagnés d’un casting tout aussi nonsensique (Peter Frampton, Alice Cooper, Earth Wind & Fire et Aerosmith) s’étaient, le temps d’une comédie musicale et d’un film censé « faire oublier l’existence du disque des Beatles » selon les frère Gibb, glissés dans les costumes du Sergent et de sa bande. C’était, au choix, fascinant ou consternant, ou les deux.

Au moins le gang de Coyne ne cherche pas à usurper les galons: même si le tracklisting suit scrupuleusement son modèle, l’album s’avance sous un nouveau titre: With A Little Help From My Fwends. Et passée la circonspection première, il faut reconnaître que c’est vraiment pas mal. Le disque fonctionne à la fois comme œuvre pop tordue, versatile, contemporaine, et, surtout, comme objet hanté. Quel que soit le plaisir qu’on prend à l’écoute (et on en prend, du solo de J. Mascis sur la puissante ouverture au chaos de Being for the Benefit of Mr Kite! en passant par un Fixing a Hole alangui par les alter-ego Electric Würms), chaque mesure réveille un souvenir d’écoute du disque originel. Le projet ne fait ainsi qu’assumer une quasi-constante de la pop: l’objet que recherche l’auditeur est toujours ailleurs, et la plupart du temps (perdu) enfoui dans ses propres souvenirs. Ca peut s’appeler mélancolie.

 

Au milieu des beats R’n’B et électro qui pulsent sur – purée – She’s Leaving Home ou Lovely Rita, défilent, au micro vocodé où aux guitares fuzzées au-delà de toute décence, les sympathiques Dr Dog, d’improbables MCs et plein de petits combos psyché et de néo-hip-slackers aux alias de série Z. Pour accoucher titre après titre d’un objet à l’exact croisement du fétichisme et de l’irrévérence, un disque éminemment lovely mais une œuvre qu’on ne réécoutera pas tous les jours -et c’est bien là sa principale divergence avec son modèle. La filiation, des Fab Four aux Flaming Lips, ne se fait d’ailleurs pas en ligne directe, et la pochette remplit son rôle de document codé en nous donnant un indice: ces globes oculaires, ce sont bien sûr ceux des Residents, qui, eux-mêmes…

 

Mais loin des intentions probablement démoniaques des Residents, Coyne et ses soldats ont décidé de reverser une partie des bénéfices générés par With A Little Help From My Fwends à une organisation œuvrant pour le bien-être des petits animaux de compagnie. On pourra chercher à interpréter ce geste, ou a tracker l’historique de quelques-uns des fwends présents sur l’album, comme les très sympathiques Fever The Ghost ou Black Pus, tout en profitant des perversions réussies de When I’m Sixty-Four et Good Morning Good Morning, avant la très maligne réunion, sur le morceau Sgt Pepper’s Lonely Hearts Club Band (Reprise), de Foxygen (qui déclarait récemment craindre la mort future de Paul McCartney) et MGMT, parachevant le parfum de double-vue qui hante l’ensemble. Evidemment, juste après ça et pour parfaire la profanation, il faut subir Miley Cyrus ayant le dernier mot sur l’officielle plus belle chanson du monde. Purée.