Les bruits de couloir font parfois bien leur boulot. Les bruits de couloir ont leurs raisons, des voies bien impénétrables. The Fiery Furnaces, flamboyeux duo frère-sœur new-yorkais, adore les bruits de couloir, il les chasse pour les passer au microscope, les faire parler, les faire chanter. Et aujourd’hui, les bruits de couloir le lui rendent bien, puisque leur deuxième album, monceau endémique, délirant de mots, de boucan, d’idées, d’histoires, brille dans la masse avec un éclat qui ne saurait être justifié par le simple (?) fait que leur musique est formidable. Laissons les bruits de couloir et posons-nous la question : l’époque aime-t-elle avoir le vertige ? A se plonger dans les quatre-vingt minutes détaillées, parcellées à l’extrême de ce gros bateau, à essayer de suivre comment ses formats étranges s’entremêlent, se bousculent, s’enchaînent violemment, on ne saurait dire si c’est la technologie du séquenceur, qui rend l’amoncellement, la fragmentation et les embranchements si aisés, ou l’art qui crie ses désirs de densité extrême.

De son aveu, le duo prétend tout tirer d’un seul morceau de The Who, leur toute première odyssée, soit les dix minutes de l’opéra de poche A Quick one (while he’s away), tirées du deuxième album du même nom (1966) ; et c’est très vrai. On y retrouve cette même arrogance des enchaînements abrupts, cette même science des ruptures, ce même penchant pour les alliages voués à être mort-nés, qui finissent par devenir les plus sémillants de tous. On y retrouve aussi cette attirance irrésistible vers une musique plus narrative, aux airs d’opéra flottant, d’opérette sordide. Seulement, et c’est pour ça que cette chronique existe, The Fiery Furnaces savent pérenniser la folie, et laisser aller la leur. Il suffit d’écouter les deux premières minutes, électroniques et glacées, de l’album, pour comprendre à quel point le groupe aime les fausses-routes pour illustrer ses très bavardes histoires (il y a encore plus de mots que de notes ici), et pour comprendre à quel point l’énumération de ces pistes (rhythm’n’blues, prog, mod, folk, psychedelia) et ce qu’elles nous évoquent (Residents, Kevin Ayers, The Fugs) est non avenue, à quel point cette folie très singulière, totalement littéraire et musicale, est formidable, à quel point cette folie d’accumulation semble salutaire en ces temps de mirages artistiques. Le trop plein que proposent The Fiery Furnaces, le vertige qu’ils provoquent, apparaît comme la forme musicale idéale de notre époque.