Dans son long-métrage Little Cheung, Fruit Chan filme le dédale des rues de Hong Kong à travers le regard éveillé de l’espiègle petit Cheung, épaulé par son amie Fan. Dans ses moments les plus réussis, le film capte avec tendresse l’émerveillement des enfants, leur inépuisable faculté à s’interroger, à transformer la réalité en un terrain de jeu permanent. Une flaque d’eau, la bâche percée d’un camion sous une averse suffisent à alimenter la fertile imagination des marmots. Par cette mise à distance du réel (qui finit par avoir le dernier mot), les deux enfants se meuvent ainsi dans un milieu déréalisé, idéal, comme des corps plongés dans un univers qui ne leur opposerait aucun point de résistance. Par un étrange raccourci, c’est cette représentation de l’enfance et cet ensemble de sensations qui s’y rattache que Pia, le premier album de Takagi Masakatsu, restitue miraculeusement.

Signé sur le label new-yorkais Carpark, cet artiste japonais d’à peine 22 ans, a en effet créé un univers sonore étonnement plastique, où field recordings et fragiles harmonies électroniques s’entrelacent délicatement. Comme chez cet autre originaire de Kyoto, Nobukazu Takemura, la musique de Tagaki Masakatsu puise ses racines dans le monde des enfants. Quoique la démarche des deux musiciens diffère en ce que Takemura essaie « de retrouver un peu de l’approche ludique qu’ont les enfants face à l’art quand ils créent ou organisent des sons », tandis que Masakatsu convoque, par l’usage de voix de petits enregistrées sur MD, le monde de l’enfance comme un environnement puissamment évocateur venant réfléchir sa musique.

Les parties musicales de Pia ont ainsi plus à voir avec un Markus Popp (tournant au ralenti) : constructions en apparence étrangères à toute logique, strates de sons superposés, doux et chaleureux, comme cette nappe sur Caroc couvrant le bruit du ressac. A l’image de Water fall, où une petite mélodie naïve surnage au-dessus d’un magma de sons liquéfiés, les morceaux sont souvent habillés par une ligne mélodique au bord de la pulvérisation.

Mais c’est par l’usage de field recordings que la musique de Masakatsu s’avère la plus enivrante et la plus proche de l’univers de Cheung et Fan. Bien peu de musiques parviennent en effet à recomposer un univers de sons bien sûr, mais aussi de couleurs, d’odeurs. Cino piano, mené par un piano jazzy (Masakatsu est pianiste de formation), permet ainsi de replacer chaque élément sonore dans un espace physique : la cour d’école d’où les rires d’enfants nous parviennent se trouve non loin d’un passage que l’on devine baigné de lumière. Avec la pétarade de la moto qui passe, on comprend que l’endroit est une ruelle étroite, où des adultes s’affairent et discutent. Une grille s’ouvre en grinçant… les enfants quittent l’école et passent bruyamment, c’est la fin de journée. On ne sera pas donc étonné de savoir que Masakatsu s’est d’abord fait remarquer comme vidéaste. Pia est d’ailleurs accompagné de cinq vidéos impressionnistes tournées par l’artiste lui-même, qui restituent l’onirisme radieux de sa musique.