Il est difficile de prédire ce que ce premier album, en forme de carte de visite, va amener comme transformations dans le paysage musical français mais Stupeflip fait d’ores et déjà partie des événements marquants de cette année 2003 à peine entamée. Sur la foi de deux premiers EP tapageurs, on a donné le bon dieu sans confession au « crou » le mieux marketé depuis un bail et porteur de pas mal d’espoir. Pour ceux qui auraient échappé, en 2002, au rap doucement déjanté de Stupeflip ou au monstre bicéphale Je fume pu d’shit / J’refume du shit, on peut comparer ces saillies à du Beastie Boys des débuts, du Béruriers Noirs inspiré ou au IAM d’ »Ombre et lumière » à cause d’une certaine propension au sketch … Aujourd’hui, on commence à se demander quoi en penser.

Autour du groupe, un buzz énorme a enflé jusqu’à ce concert-performance aux Trans Musicales 2002 qui a achevé de partager très distinctement les auditeurs en pro et anti-Stupeflip, autant pour de bonnes que de mauvaises raisons : quand certains hurlaient à l’arnaque, au faux groupe « authentique », d’autres accordaient un crédit sans limite à un « chaos » savamment orchestré. L’album ne viendra pas départager les tenants des deux camps et ne dissipera pas les malentendus que Julien Barthélémy, alias King Ju, le véritable maître à bord de Stupeflip, semble s’amuser à mettre en place. Autant dire tout de suite que le véritable débat se situe ailleurs et que Stupeflip tente, ici et maintenant, le hold-up conçu par Malcom Mc Laren, avec ses Sex Pistols, voilà déjà un quart de siècle. L’escroquerie, quand elle est annoncée, voire revendiquée, n’en est plus tout à fait une mais devient un principe fondateur, une ambition, qui donne son sens à tout le reste. D’ailleurs, au détour de L.E.C.R.O.U, King Ju gueule : « … j’ai du temps à rattraper sur les putains de pistolets » ! Et la présence de ce vieil anar de Jacno à leur côtés fait figure de parrainage idéal : il ne rate jamais une occasion de descendre les Pistols, depuis 77.

La messe est dite et tous les ingrédients sont bien là : une imagerie impeccable (résurrection du cirque Grand Guignol des Bérus), une légende auto-énoncée (le « Crou » est né en 72, veut « terroriser la population », « instaurer une nouvelle ère »…), un crétinisme ado jubilatoire (le doigt d’honneur permanent) et la rébellion en ready-made, portée à bout de cordes vocales hystériques… Comme Ween, Stupeflip joue avec les codes, brouille les messages et fait, selon l’humeur, du hip-hop (Stupeflip, L.E.C.R.O.U.), du néo métal (L’Epouvantable épouvantail, A bas la hiérarchie), de la pop -ici, ils sont bizarrement peu inspirés- (Carry on, La Bavure de Pop Hip) et plus si affinités (Comme les zot, Passe mon truc). Dés lors, Stupeflip se doit de faire un carton total ou de retourner définitivement au néant dont il a surgi (le syndrome Sigue Sigue Sputnik). Une écoute attentive de ce concept-album révèle à quel point chaque détail à été maniaquement pensé (la pochette des Residents, autre groupe mystificateur et manipulateur, caché au beau milieu de la propre pochette de Stupeflip en atteste) : ça n’est donc pas au simple auditeur de se poser mille questions, Stupeflip s’en est chargé, il s’agit uniquement de se perdre dans cette vingtaine de titres et de voir si on y prend plaisir ou pas. Autrement, passez votre chemin ! Pour notre part, les envolées primaires anti-travail, anti-patron pue-du-bec d’A bas la hiérarchie nous mettent aux anges, le caillassage de la « grande » chanson française sur Comme les zot nous rend également hilare et le règlement de compte généralisé de Annexion de la région Sud nous exonère de toutes les précautions d’usage qui nous empoisonnent habituellement l’esprit… Rêvons qu’à l’avenir Stupeflip pervertisse durablement notre belle jeunesse…