Gong balinais, cithare bavaroise, carillons tibétains, sifflet en étain irlandais, flûte en bambou égyptienne, orgue de bouche japonais : l’inventaire des instruments utilisés par Stephan Micus sur ses albums est toujours un grand moment de poésie. Depuis une trentaine d’années, ce musicien globe-trotter concentre le monde dans des albums solitaires qui puisent dans les ressources et les traditions musicales des quatre coins de la planète, se faisant le héraut d’une world music d’origine garantie, non dénaturée par l’habituel formatage aux normes occidentales. En résultent des galettes déroutantes, parfois envoûtantes, qui dépassent toujours le tourisme et le pittoresque en plongeant corps et âme dans le vocabulaire et les structures des musiques auxquelles elle se frottent, si différentes qu’elles soient des cadres occidentaux. Life, son seizième album pour le label allemand, ne déroge pas à la règle : il est tout entier basé sur un « koan », sorte de parabole bouddhiste énigmatique au moyen de laquelle le maître zen est censé stimuler le développement de l’intuition de son étudiant ; en dix parties, Micus tente d’exprimer musicalement la substance de la chose, piochant dans sa bibliothèque d’instruments du monde et interprétant lui-même le texte japonais original. « Le principal problème, explique-t-il, a été de trouver une forme musicale capable de traduire une parabole qui commence et se termine par la même réponse, car je ne voulais pas répéter la même musique du début à la fin de la pièce. J’ai fini par développer la composition d’une manière très inhabituelle, en allant du plus complexe au plus simple, c’est-à-dire en prenant le contre-pied de ce que font les compositeurs habituellement, moi y compris ». La première partie (« La question du maître ») mêle donc rien moins que 9 instruments et 11 pistes vocales, la musique se décharnant au fur et à mesure jusqu’à la dernière partie (« La réponse du maître »), pour voix seule.

Les amateurs d’ethnomusicologie retiendront que Micus recourt pour la première fois au « maung », un instrument birman constitué d’une quarantaine de gongs tempérés, et à la « bagana », une lyre éthiopienne traditionnelle en bois, peau et boyaux de mouton dont il signale au passage qu’elle est aujourd’hui en voie de disparition (« Je suis allé à Addis Abeba pour étudier le bagana avec un maître musicien, l’un des derniers spécialistes de cet instrument malheureusement condamné à disparaître », explique-t-il avant d’ajouter cette anecdote ahurissante : « Le bagana a dix cordes mais ce qui m’a paru très surprenant, c’est qu’ils n’en utilisent que cinq. Quand j’ai demandé pourquoi à mon professeur, il m’a répondu qu’ils avaient oublié comment ces cordes étaient accordées »). Le dépouillement du propos et la quête de simplicité que reflète la narration font de Life un album exceptionnellement sobre, et d’autant plus intrigant pour l’auditeur européen ; ceux que les explorations sonores de Micus laissent sceptiques fuiront devant un album lent, solennel et quasi lénifiant, les autres se laisseront happer par l’atmosphère indescriptible de cette petite heure de dépaysement en forme de grande prière œcuménique.