L’un des terrains de jeu les plus drôles que se sont trouvées les musiques électroniques au début des années 1990 était l’exploitation du bug informatique. Pour faire court, un ordinateur qui plante, un fichier son corrompu, ça fait du bruit et ça peut toujours resservir dans la musique, n’est-ce pas ? Crashs de systèmes, couacs de logiciels, déraillements de CDs étaient donc enregistrés et réinjectés dans la musique. Au final : une poignée de disques esthétiquement innovants qui s’écartaient du sacro-saint modèle ovalesque et pléthore de disques suivant à la lettre et jusqu’à l’ennui les préceptes du glitch. Alors lorsqu’en 2003, Stephan Mathieu publie un disque intitulé Kapotte Muziek by…, a microsound fairytale, annoncé comme 20 minutes de musique brute de fonderie, totalement flinguée par un logiciel récalcitrant, on se demande si le musicien allemand n’est pas en train de nous faire pour la 3546e fois le coup de la panne (informatique).

La réponse est non, définitivement non. A vrai dire, Kapotte Muziek ne s’inscrit même pas vraiment dans cette esthétique de l’erreur et encore moins dans toute tentative « intellectronica ». Par son approche, à la fois plus radicale et basique, le disque se trouvera en fait bien plus d’atomes crochus avec les essais délirants de musiques construites à partir de fichiers informatiques non-musicaux : un fichier image, un fichier texte passés à la moulinette d’un soft et hop, vous voilà avec des grrrr, des bzzzzz, des tcccccchhh et des trrrrrrr, à la manière d’un V/VM qui s’était amusé à scanner une interview de …Scanner dans le Wire pour la convertir en fichier son et vérifier si ce qu’on entendait était aussi chiant et prétentieux que le contenu de l’article. Avec Stephan Mathieu, nulle envie pourtant de se payer la tête de quiconque, ni même aucune intention de dynamiter un .JPG ou un .DOC. Et c’est précisément cette absence d’intentionnalité qui distingue le disque de Mathieu d’autres tentatives a priori voisines : en rompant une relation de confiance mutuelle entre le musicien et son ordinateur, ce dernier s’est substitué à la volonté du premier. Petite précision, Stephan Mathieu aime « anthropomorphiser » son ordinateur : après The Sad Mac live @ Mutek en 2002 sur 12k/.term, voici que « [son] laptop se paie une franche déconnade » pour Korm Plastics.

Kapotte Muziek by,… a microsound fairytale : de quoi s’agit-il alors ? Comme pour n’importe quel travail de remix « classique », Mathieu planchait depuis quelques temps sur des morceaux live de Kapotte Muziek, le groupe fondé en 1984 par Frans de Waard (futur ex-M. Staalplaat et accessoirement, © du terme « microsound »). D’abord de facture indus, avant d’évoluer vers l’electro-acoustique au gré des intervenants (Christian Nijs, Roel Meelkoop…), Kapotte Muziek tourne depuis son origine autour d’une idée simple : le recyclage d’objets sonores. C’est donc naturellement que la musique du groupe a été à son tour recyclée et revisitée par une brochette de dix artistes (Illusion of Safety, Leif Elggren, Lasse Marhaug, Radbous Mens, Asmus Tietchens… et aujourd’hui Stephan Mathieu) au travers d’une série parue sur le label « historique » de Frans de Waard : Korm Plastics. Huit mois passent donc, le musicien fignole et édite ses morceaux sur Protools (Mac OS9) avant de les passer sur SoundHack (Mac OSX). Mais à l’allumage de l’ordinateur, le système lâche avant de repartir au bout de quelques essais infructueux. Mathieu lance le logiciel et là, surprise : il n’entend qu’un medley hilarant de ses morceaux, rendus méconnaissables par le bug. A peu de chose près, c’est tout ce qu’offre A Microsound fairytale. Et le résultat est, qui l’eût cru ?, totalement jubilatoire !

Pour quiconque est familier de la signature de Stephan Mathieu, la surprise sera énorme puisque ici, le maître-mot est : noise ! Vingt minutes de noise qui ravira les fans de Pita, Russell Haswell, Merzbow et autres champions du pilonnage sonore. Parfois, apparaissent ici et là, pendant quelques secondes, des bribes de paysages cristallins qu’on imagine être le remix qui devait être originalement publié. Puis ça repart de plus belle dans le matraquage : des rythmes rudimentaires tournent quelques temps, s’arrêtent sans raison, se transforment en avalanches de bruit blanc, silences, craquements, on respire puis, nouvelles explosions, marteaux-piqueurs, furie de hurlements, jouissance. Le résultat est tellement haletant qu’on aimerait se dire que Mathieu y est quand même pour quelque chose, que l’architecture du morceau est de lui, que les sons ont été montés tels qu’il le voulait, mais non (ou presque). Débilitant et sans compromis, excitant et exigeant : vingt minutes de bonheur, ni plus ni moins.