Quatre mouvements (chacun placé sous l’exergue d’un poète ou d’une définition), comme dans tout concerto pour piano qui se respecte, enregistrés avec l’Orchestre Symphonique de Toscane (dirigé par Paolo Silvestri) : Stefano Bollani a vu les choses en grand et s’est offert ce dont tous les jazzmen rêvent d’une manière ou d’une autre, un enregistrement dans la mer ouatée, puissante, multiforme et élégante d’un grand orchestre. Accompagné d’Ares Tavolazzi (contrebasse) et Walter Paoli (batterie), il met sur pied une musique ondoyante et généreuse, truffée de références et de clins d’oeil, qui saute d’une ambiance et d’un style à l’autre avec une rapidité un peu déconcertante (c’est un comble) mais rapidement attachante, malgré deux ou trois mièvreries ou naïvetés un peu appuyées.

Côté influences, c’est comme si le pianiste italien avait voulu faire rentrer toutes les musiques qu’il aime dans la quarantaine de minutes du Concerto : saluts amusés aux musiques de films américains et à l’optimisme grandiloquent de Broadway, retours vers les traditions italiennes (le Bel Canto, les films de Fellini), détours par la musique contemporaine tonale (des passages solo délicatement décalés, à la Satie) et, bien sûr, le jazz et la tradition du big band (des pêches de cuivres à réveiller un mort). L’équilibre entre trio et orchestre est impeccable, la virtuosité et l’aisance du pianiste l’autorisent à dialoguer sans difficultés avec les imposants pupitres de Paolo Silvestri. L’humour et la dérision ne sont jamais absents ; ne manque peut-être à cette partition ambitieuse et pleine de moments de grâce qu’un fil directeur plus solide, qui rende sa cohérence à une musique tellement riche qu’on peine à en saisir immédiatement l’unité. Retour aux amours jazz en fin de galette avec une version sobre, sans surprise mais néanmoins envoûtante de My Funny Valentine, sur le léger et profond tapis des cordes : Bollani joue la mélodie au milieu du clavier, sans fioritures, comme le chanteur au timbre velouté qu’on s’étonne presque de ne pas entendre murmurer après l’introduction. Un disque ambitieux, élégant et bourré de qualités, qu’on ne saurait trop recommander à ceux qui n’ont jamais désespéré des possibilités du third stream.