Se méfier avant tout. Voilà ce qu’on se disait en préambule d’écoute de ce nouvel opus de Tom Jenkinson, parce que l’Anglais nous avait habitué aux mauvaises surprises. Après toutes ces mini-escapades electroacoustico-machin-choses post Big Loada (son chef-d’œuvre demeuré insurpassé) pour lesquelles Jenkinson avait abandonné les rythmiques frénétiques qui avaient fait sa réputation, et l’incartade volontairement passéiste Selection sixteen dans laquelle il réécrivait l’histoire de la naissance de l’Albion électronique, on ne savait plus trop à quoi s’attendre, encore fidèles, mais plus pour très longtemps. Et puis il y a un mois, il y a eu My red hot car, géniale parodie two step, homicide volontaire de Craig David à la moulinette software, écartèlement vicelard de la dance britannique dans tout ce qu’elle a de plus vulgaire et de plus balisé. Sans surprise, ce morceau aux lyrics irrésistibles (« I’m gonna fuck you with my red hot car ») fredonnées par un Jenkinson robotisé ouvre Go plastic. Mais si son attitude frondeuse résume bien le ton général de l’album, on ne peut pas en dire autant de sa petite mélodie câline, de sa ligne de basse taquine.

Dès Boneville Occident, après un long silence d’attente fébrile, Squarepusher goes beserk. Le compteur est fixé à 1 800 BPM, l’auditeur est asséné d’une cascade de breakbeats furieux qui ne tiennent jamais en place plus de dix secondes, sans cesse recoupés par divers parasitages rythmiques ou supersoniques. On retrouve la hargne de Vic acid ou Problem child, un humour pince-sans-rire habité d’une haine conquérante sans pareille, à la différence près que le démantèlement n’a plus grand-chose de musical, si ce n’est un sens rythmique toujours à la limite du démonstratif, télescopant dix ans de jungle hardcore et un Elvin Jones sur une chaise électrique. Cardiaques s’abstenir. Go spastic commence avec une ligne de basse acide des plus caractéristiques, un peu comme une redite de Come on my selector, avant d’être dynamité par un intermède hip-hop du plus bel effet et un toaster charcuté informatiquement dans tous les sens. Autrement dit, ça groove sévère. Finie l’introspection de chambre façon Budakhan mindphone. Metteng Excuske v1.2 confronte ensuite les essais électroacoustiques inaugurés par Music is rotted one note à un sens bruitiste tout en attitude, parfaite introduction aux cut-up martiaux et vindicatifs de The Exploding psychology, de loin le morceau le plus novateur du disque. Passons I wish you could talk, intermède mélodique joué à l’orgue d’église : en fait, une redite de Papalon et autres tentatives romantiques du passé. Attardons-nous plutôt sur Greenways trajectory, qui envoie breaks et beats dans un espace sonique de toute beauté. Les sursauts rythmiques résonnent, les enfilades d’infrabasses se vêtent des textures chaleureuses du dub. Point de merci pop, cependant, dès la troisième minute, la reverb est surtout là pour nous faire tâter du feedback numérique pour un final quasi hardcore, digital hardcore si l’on ose dire. Et excepté un amour toujours aussi immodéré des vieilles boîtes à rythmes et autres ligne de basse synthétique, l’armada de l’Anglais s’est même modernisé des softwares les plus récents pour des crashes granulaires du plus bel effet.

Mais la musique dans tout ça ? Le titre My fucking sound résume bien les choses : Jenkinson n’en fait qu’à sa tête. Peu importe la musicalité, ces enfilades de rythmes, de basses, de bruit, de fureur n’existent que par elles-mêmes, créations monstrueuses qui ne sont que l’objet de leur créateur. Sans pose, Jenkinson nous montre qu’il a de l’attitude à revendre, plus que ses suiveurs Alec Empire, Hrvatski ou Kid 606. Il se pose, là, plus présent que jamais après avoir presque disparu derrière l’abstraction de ses productions récentes. Ce n’est pas pour rien que ce soit son visage, fantomatique tout de même, qui orne la pochette de Go plastic. Sa personne tout entière envahit tous les pans de ce disque qui ressemble presque à une résurrection. Indépendamment les uns des autres, les morceaux un peu adolescents de Go plastic ont une classe folle. Dans l’ensemble, le disque soûle vite l’auditeur et n’a pas grand-chose d’un album. Mais c’est la rançon inévitable d’un artiste qui cherche avant tout à se mettre en avant, à rappeler sa présence presque pachydermique. Il devient ainsi un auteur incontournable, avec ses passions, ses faiblesses, son talent inestimable aussi.