Le problème avec des types comme Jason « Spaceman » Pierce c’est qu’il n’y en a pas (de problèmes). Une telle constance dans le génie décourage et désespère autant que le fait que Spiritualized n’existe, en France, que par l’acharnement de quelques fans. Alors que ce groupe draine en Grande-Bretagne un vrai public dépassant largement les chapelles de l’indie-rock, il peine ici à remplir le Café de la Danse. C’est dire le peu d’intérêt que le pékin moyen porte aujourd’hui à la musique moderne de qualité.

C’est par un larsen d’une pureté remarquable (un pur larsen, donc…) que commence This little life of mine, énergique évocation des Stooges qui, excusez du peu, éclipse la récente collaboration des frères Asheton avec Iggy Pop en termes de sauvagerie jubilatoire. Le ton est donné, le cinquième album de Spiritualized sera stoogien et plus si affinités. Juste retour de flamme. En effet, durant les années 80, Spacemen 3, le précédent groupe de Pierce, fut l’un des rares à réactiver chimiquement un rock alors moribond, même si l’histoire fut peu reconnaissante de ces parfaits électrochocs -dont on peut écouter la genèse sur une récente et immanquable réédition intitulée sobrement Taking drugs to make music to take drugs to (Space Age Recordings, en import). Sans les Spacemen 3 (désormais objet de culte des deux cotés de l’Atlantique), nous ne nous droguerions pas aujourd’hui à l’écoute des Warlocks ou de Kinski, et My Bloody Valentine, Ride ou Slowdive n’auraient pas sauvé nos post-adolescences de l’ennui chronique. Brian Eno, qui avait du flair, avait décrit leur musique comme du « Stooges ambient, du Stooges pour salle d’attente d’aéroport ». Amazing grace, dans sa partie animale fait maintenant penser à des Stooges vivants, taillés pour la confrontation scénique, la grande montée vers l’apocalypse.

Rattrapé par une culture musicale vaste, Jason Pierce n’allait pas uniquement s’en tenir à produire du rock excitant, il croise donc le fer avec ses autres obsessions, à commencer par le jazz libre sur The Power and the glory et le final du bien nommé Rated X (hommage à Miles Davis), au gospel narcotique avec Lord let it rain on me, Lay it down slow (supplique troublante déchirée par un solo ad hoc), et même en réactivant le Dylan électrique et frondeur de Highway 61 revisited sur un Cheapster rien moins que parfait.

Toujours libre et touché par la grâce d’un génie qui semble inaltérable, Jason Pierce vient de livrer un nouveau très grand disque de Spiritualized : à la fois furieusement adolescent et absolument mature, il résume tous les autres. On n’est pas prêts de se lasser…