Et si finalement Spain n’était qu’un groupe américain parmi les autres ? Et si pour une fois, on laissait tomber cette espèce de décorum trop sérieux lié au fait que Josh Haden est le fils de son père, un grand gamin pas encore bien grandi ? Et si Josh Haden était plutôt cet adulte rieur et fort sociable que nous avons croisé il y a quelques années autour d’une discussion à propos d’Hüsker Dü, tirant sur des joints tout en repassant soigneusement sa tenue de scène ? Celui qui sur cet album chante : « I just want to take you home and make your body move. »…

Mis à part cette nouveauté que constitue cet inhabituel enthousiasme, perceptible dans les rythmes étonnamment avertis de ce nouvel opus, il est toutefois évident qu’on ne retrouvera jamais avec Spain le caractère très particulier de notre première étreinte. Il faut dire que lorsqu’un groupe arrive d’Amérique avec un disque du calibre de The Blue Moods of Spain, la raison voudrait que l’on ne s’en remette jamais. Disque de nuit par excellence, pour toujours rangé dans la chambre, ces ambiances sont de celles qu’on aurait voulu ne jamais quitter. Et la suite ne nous dit peut-être que ça. Qu’après la déception, un deuxième album en ronds de flan, disque médiocre (She haunts my dreams), ce nouveau cru intitulé I believe promet de nous remettre enfin à la colle avec les disques de Josh Haden.

Car Haden et ses sbires ont enfin cessé de tourner en rond à tenter des joliesses agaçantes pour se consacrer -en partie- à écrire de véritables pop songs sur un rythme parfois étonnamment averti. Ses musiciens semblent enfin avoir compris qu’en enjolivant les chansons d’Haden, ils tournaient en rond. Ils se mettent désormais à l’accompagner de la manière la plus simple, la plus brillante qui soit. Et on a donc l’excellente surprise d’entendre sur I believe non plus des instrumentistes doués démontrant leur savoir-faire, mais un groupe naturellement au service de chansons. On pourra bien sûr reprocher aux mélodies vocales de Josh Haden de trop souvent coller à leur matrice mélodique, à n’assurer qu’un contre-chant en filigrane, ne déviant jamais d’une ligne de notes clairement établie. Mais ce serait un peu mesquin. Accordons donc à Spain le statut de grand groupe moyen, plus charmant que bouleversant, bande-son de conversations intimes, de petites tendresses gratuites, de geignardises réconfortantes. Comme il est chanté ici : « Just kiss me, don’t hold me tight. »

Si Haden reste dans l’auto-apitoiement permanent, le regret, la plainte légitime de l’amoureux resté en rade, il a également mis une certaine vélocité dans sa musique. On reste ainsi stupéfait de se confronter au premier morceau, She haunts my dreams, titre de l’album précédent, manière de reprendre les choses là où il les avait laissées. Une sorte de tube pépère, comme un Wilco timide, un Teenage Fanclub autiste, un morceau presque décidé, une réussite. Suivent Born to love her avec un orgue vaguement emprunté à un incunable des Tindersticks, Do you see the light et I believe, qui s’inscrivent dans la même veine que l’ouverture, aux architectures classiques mais ayant encore du mal à s’affranchir des clichés power-pop convenus. Disons que Spain évolue désormais vers un folk-rock-feutré mais néanmoins efficace, magnifique en tout cas. Du coup, on porte moins d’attention au mid-tempos, marque de fabrique un rien prévisible de Spain (beaucoup trop loin de la péninsule Ibérique). Un groupe spécial au sens caché qu’on ne peut traduire décemment que par « S(pecial) Pain ».