La Néo-Zélandaise Sophie Moleta avait débarqué de nulle part, l’année dernière, avec un premier CD compilant huit années d’enregistrements confidentiels, Trust, qui nous avait totalement hypnotisés. Sa voix, toujours au bord du gouffre, entre les murmures de Stina Nordenstam et les professions de foi de Sinead O’Connor, le dépouillement religieux de ses morceaux, traversés de fantômes et de bruits d’ambiance intensifiant le climat (Mantle of cloy et son bouleversant écoulement d’eau), sa poésie, tout cela était nouveau et d’autant plus fascinant qu’un mystère complet régnait sur elle. La revoici, après une session radio chez Bernard Lenoir, avec un « vrai » premier album de nouvelles chansons (plus une relecture convaincante de Stay gold), enregistré dans les très cotés studios Realworld de Peter Gabriel, avec Hector Zazou et Joe Leach (collaborateur de Pooka, collègues de label) à la production.

Faut-il chercher la raison de notre déception initiale dans ces nouvelles conditions d’enregistrement ? Pour qui a été hanté par Trust, ce Dive semble en effet bien sage, bien « normal ». La chanteuse originaire de Perth s’y lâche un peu moins, abandonne les plaintes semi-animales que l’on trouvait sur caAst -et dont la brutalité (au sens d’art brut) laissait bouche bée- au profit de chansons plus contenues. Les belles errances soniques qu’elle nous proposait font place à un minimalisme affirmé, certains morceaux n’étant accompagnés que par des nappes de son précieux DX7. Tout ça demeure réussi, mais moins stupéfiant, et lorsqu’elle ressasse fiévreusement certains mots, quasi a capella, elle frôle parfois les moins bons moments de Tori Amos (l’éprouvant Fresh rain).

Mais heureusement, sa voix varie toujours admirablement (Lewes et sa ferveur éraillée), et sur le fond, elle n’a rien perdu, c’est sûrement ce qui compte le plus. Moleta n’est pas fille de pasteur pour rien, on ira donc la découvrir dans ses textes. « Please do not intellectualize me… I want to see you, I want to see me, I wanna dive in tonight », chante-t-elle ainsi sur Dive, invitation au grand plongeon des sens. « I don’t want some time-wasting cheap-thrill experiment », poursuit-elle, avertissement valable, autant pour ses amants que pour ses fans. Elle exige que l’on tende l’oreille pour apprécier sa poésie de cathédrale en allumettes (10 x 2, basé sur une ritournelle hongroise), qui la voit toucher les cieux avec trois fois rien, et cela donne parfois des merveilles comme God & fire, magistrale conclusion tapissée de larsen de guitare.

Dans Chapelle, elle semble répondre à PJ Harvey : « There’s no holy water but I am not dry. » Féconde, pleine d’amour et d’émotions, Sophie Moleta est généreuse pour qui a la place de la recevoir. Assurément une voix unique, elle mérite avec cet album de se faire un nom… Mais on espère, en secret, qu’elle ne va pas définitivement quitter le territoire étrange qu’elle habitait sur Trust, très contemporain et plein de surprises. Juste une idée : elle aurait pu s’associer au cérébral Brian Eno, producteur prêt à toutes les aventures -et sachant faire sobre au profit des voix (Bowie, U2)- qui avait, en 1993, dans les mêmes studios Realworld, obtenu le meilleur du groupe James pour son album Laid. Quoi qu’il en soit, on attend la suite avec grande impatience.