Creusant le sillon « classic-rock » entamé sur Murray street, Sonic Youth poursuit son renouveau en douceur, faisant converger très harmonieusement son passif bruitiste et expérimental et de véritables et accessibles chansons. Ce Sonic nurse est apaisé et plus musical que jamais, les expérimentations open-tunées et les longues plages instrumentales laissant place à de véritables « ponts » ou soli de guitares, à l’intérieur de formats couplets-refrains plus conventionnels. Sonic Youth devient ainsi un véritable groupe de rock, sans doute pour la première fois, gérant son expérience sonique et sa culture ouverte, les cinq membres du groupe apportant leur écriture propre à un tout qui dépasse évidemment la somme de ses parties.

Maître d’oeuvre de ce chantier (il compose la plupart des nouveaux titres, originellement prévus pour sortir sur un album solo, finalement enregistrés en groupe), Thurston Moore fait dans la nostalgie rock’n’roll et cite Johnny Winter ou BB King sur New Hampshire, hommage ironique à Steven Tyler et Joe Perry d’Aerosmith, composé après avoir lu une biographie du groupe qui racontait la joie ressentie par les deux rockers mainstream au moment de rencontrer Johnny Winter et BB King pendant un festival blues… L’ironie ici est teintée d’une réelle tendresse pour des individus par ailleurs pas toujours recommandables, de la même manière que Kim Gordon and the Arthur Doyle hand cream se veut un hommage déguisée à la petite reine du mainstream Mariah Carey en même temps qu’au ponte du free-jazz. Le name dropping arty s’ancre dans le réel, tandis que Kim Gordon, au sommet de sa forme, fait peur en même temps qu’il fait du bien sur un Dude ranch nurse en apesanteur inquiète, rappelant les plus belles heures de Goo ou Dirty. La nurse de Richard Prince en couverture de l’album, protectrice et un brin flippante avec son masque blanc et son halo de dégoulinures rouges, trouve ici sa parfaite illustration musicale. Lee Ranaldo pond son habituel morceau en dents de scie électrique avec l’explicite Paper cut exit n’en finissant plus de réveiller les fantômes du 11-Septembre. Tous ces fantastiques songwriters s’accordant à merveille à la section rythmique au carré Steve Shelley -Jim O’Rourke, l’album peut se finir sur un Peace attack prospectif, où Thurston Moore dessine les contours d’un avenir apaisé et ouvert. On conçoit alors que ce disque est elliptiquement politique, en opposition en même temps qu’en accompagnement d’un auditeur ami.

Murray street commençait par un morceau intitulé Disconnection notice, Sonic nurse débute par Pattern recognition : on y verra plus qu’une proximité sémantique ou thématique, la poursuite d’une ambition musicale qui se clarifie pour un groupe qui ne cesse de s’affranchir (de toute possible aliénation). Simplicité et évidence d’un style qui s’apure et s’affirme de plus en plus tranquillement définissent ainsi ce Sonic nurse maîtrisé et serein. Un must-have, comme tous les disques de Sonic Youth.