Un fantasme comme un autre : se faire enfermer une nuit dans les archives de la BBC, retourner la moindre boîte, se rouler dans les bandes inédites des plus grands groupes sixties comme Picsou plongeant dans ses dollars, sourire aux plaisanteries polies des animateurs british en buvant le thé. Depuis les années 60, la BBC fait figure d’Eldorado pop. Tous les plus grands groupes y sont passés, livrant des versions plus live, plus crues, de leurs classiques et même quelques inédits ou reprises à tomber. De quoi fantasmer, effectivement. D’autant que les ingénieurs du son de la BBC avaient de l’or dans les mains. Comme si tous ces techniciens pouvaient s’improviser producteurs et forger un son live parfait. Ces types-là auraient pu nous servir dans les années 80 quand les batteries se sont mises à sonner « plates » sur tous les disques. Après les Beatles (intéressant), les Zombies (surprenant), Led Zeppelin (monumental) ou les Who (grandiose tout bêtement), les sessions des Small Faces sortent de la caverne d’Ali Baba (en import).

Inutile de finasser pendant des heures, ces enregistrements sont prodigieux. Ces titres connus de tous gagnent une ampleur sidérante (particulièrement les morceaux les plus violents du répertoire, le côté obscur de la force sonique. Pour la délicatesse psychédélique, mieux vaut se concentrer sur The First immediate album des Small Faces). Watcha gonna do about it, single fondateur, un des premiers larsens gravé qui impressionna jusqu’à John Cale par sa violence débridée, ouvre le bal mod à la BBC et résume toute l’affaire. Bien sûr, c’est du R’n’B, exactement les mêmes accords qu’Everybody needs somebody to love. Mais, ici, curieusement, on ne sourit pas. Au contraire, on serre les dents, l’air mauvais. Même rictus pour Baby don’t you do it, classique mod emprunté à la Motown, ou pour le bluesy You need love. Les Small Faces jouent une musique typiquement anglaise qui passe en force, à l’arraché.

Sommet de cette philosophie du « tout en nerfs », la reprise de Shake, le classique de Sam Cooke. Après deux minutes de perfection, les gars lèvent le pied mais ne ramollissent pas. Ronnie Lane et Steve Marriott chantent tous les deux. Marriott hurle « Early in the morning » puis « Come on children ! » de plus en plus fort, suffoquant sous des flots d’adrénaline. Le groupe redémarre dans un vacarme de bruit blanc punk rock. C’est funky, sexy, noir, blanc, prolo, hargneux, classe, c’est du rock mais ça se danse comme du James Brown. Merde, tout est là, inutile d’en écrire bien plus. Sachez tout de même que le disque offre aussi Hey girl, Understanding ou Lazy sunday, également joués la tête dans le guidon du Lambretta. Intouchables, les Small Faces donnent une version heavy d’If I were a carpenter de Tim Hardin et nous achèvent avec Every little bit hurts, ballade à crever. Si vous ne vous sentez pas triste et seul actuellement, ça viendra forcément un jour et cette chanson constituera alors votre bien le plus précieux. « Full of feeling », confirme le monsieur BBC, qu’on embrasserait volontiers, comme un vieil oncle. Pour conclure, Steve Marriott explique, en interview, que les Small Faces jouent fort car le volume les excite. Précision superflue, Sir, nous l’avions compris.