Producteur de marécages sonores et cartonneur de trains, le canadien Sixtoo, ancien Sebutones errant entre des labels aux références pointues (Cease & Desist, Anticon, Metaforensics), largue son quatorzième opus. Poursuivant cet editing fleuve qu’il pratique intensément depuis sa participation au Villain accelerate de son ami Stigg Of The Dump, il réserve à la guilde des ninjas londonien, dont il fait désormais partie, un mixage facétieux nourri de quelques samples et d’éléments live enregistrés au hasard de sa vie de poseur de bombes : voix, celle de l’oracle Damo Suzuki en l’occurrence (et accessoirement la sienne), Fender Rhodes, guitares doucement saturées et basses enduites de graisse. Armé de ces couleurs lentes et sombres, épaulé par ses compères de Godspeed You Black Emperor ou The Hang Up, il évolue avec la grâce inégale d’une brûlure noire sur un mur blanc. Inégale, en effet, car les premières cartouches que le Dj tire agacent en laissant flotter un hip-hop downtempo convenu qui rate le charme graveleux du récent Antagonist survival kit et oublie les talents d’harmoniste du passé. Peut mieux faire, donc.

La preuve. Quand ses faux-breakbeats révèlent leur étroitesse (Sidewinners), Sixtoo lâche le sample pour se jouer d’harmonies accidentelles échappées des jointures du mix qu’il tord en doublant leur chant d’une guitare électrique. Dès lors, il replante ces jeunes pousses dans une pépinière psychédélique d’ou s’élèvent des bonzaïs musicaux que l’électricité des guitares oriente vers un hip-hop serti d’épines. L’editing de Sixtoo ne révèle ainsi ses secrets que tardivement, n’écrasant l’équilibre simplet qui fout en l’air le disque que sur ce dernier tiers. De fait, les éléments les plus saillants et parfumés tiennent dans ces fulgurances finales, délicate maïeutique par ailleurs sortie en maxi. Sur Chainsaw juggler ou Horse drawn carriage, la composition libérée met en péril les conforts banals du début. Les échantillons se font plus longs et plus complexes, des chaînes harmoniques vivaces prennent le pas sur le carcan des boucles (The Honesty…). Sixtoo flippe, libère de ses machines des spectres tranchants et étale alors une forme éclatée de kraut-hop abrasif. Damo Suzuki roule dans ces lames rythmiques rompues de breaks éclatants, psalmodiant puis éructant des incantations rétro-glamour (Storm clouds & silver linings). La bataille cosmique dure 9 minutes. L’album, presque, dure 9 minutes. Rugit ou se tait, mais remet sa stabilité en cause, se libère du sampler, risque ses mélodies et risque même le vide. Sixtoo pourrait bien se tuer dans cet exercice, mais il dirige son fat cap comme un maître et lâche un throw-up exemplaire, repasse de la toile au mur et du mur au train. Cartonne des armées de wagons-lits et disparaît dans la nuit canadienne. Le dernier morceau ne compte pas.

Chewing on glass est un grimoire. Des recettes à base de bonzaïs musicaux y sont inscrites. Mais la production, qui a pu être pensée comme une pièce pour musiciens, manque d’ampleur. En revanche, Sixtoo sort de très bons maxis.