Deux disques, manière d’illustrer au mieux la diversité des possibles d’une musique trop directement organique pour se laisser enfermer dans les schèmes mécaniques de la reproduction à l’identique : pour son cinquième album, Simon Goubert mise ainsi sur la variété des contextes et l’effectivité de leur influence sur le cours de la création en proposant une face studio à gauche, une autre en public à droite, enregistrées sur cinq jours consécutifs derrières les vitres du studio Uz puis devant le public du Duc des Lombards, à Paris. Deux des neuf compositions choisies (65bis de Rieu, After the wind has gone du leader) sont ainsi proposées dans deux versions successives et permettent, si l’on saute d’une galette à l’autre, de mesurer les différences réelles qui en séparent le traitement. L’hyperactif batteur français (on le retrouve au générique de trois ou quatre albums publiés ces dernières semaines et à l’affiche d’une longue série de concerts) donne du coup ici l’une de ses œuvres les plus convaincantes à la tête d’un quartet illuminé par le piano de Sophia Domancich, encore que Yannick Rieu (saxophones) et Michel Zenino (contrebasse, souvent entendu aux côtés de Gordon Beck) y brillent eux aussi d’une belle lumière.

Si son évolution musicale est tangible, ne serait-ce qu’en retournant un instant au superbe Phare des pierres noires paru voici trois ans, l’influence énorme, volcanique, immédiate de l’étoile coltranienne et des bruissements terriens de l’inévitable Elvin Jones reste la constante esthétique autour de laquelle il continue à mener sa barque ; dans son sillage, il tire de sa batterie le drumming mouvementé, magmatique et intarissable sur lequel s’édifient des thèmes moins considérés pour eux-mêmes que pour cette force enfouie qu’ils semblent receler et que les quatre musiciens cherchent à révéler et faire sourdre. L’intranquillité domine ces longues minutes de travail sur le corps et les formes empesées d’une musique que le groupe amène lentement vers la délivrance : Yannick Rieu donne superbement le change à un piano inquiet joué par longues strates déliées, qui semble rejoindre dans le bas du clavier les profondeurs noires d’où éclatent les roulements, explosions et flux métalliques du leader. La violence du son (Goubert bien sûr en Vulcain magnifique, mais aussi Rieu dans de longues phrases furieuses) reste toutefois contenue ici à l’écart d’une exacerbation qui lui ouvrirait toutes les portes, le groupe semblant vouloir avant tout mener vers leur résolution les tensions de sa musique. Peut-être plus enthousiasmant encore dans son versant live que dans la partie studio (question d’atmosphère, sans doute, quoique Sophia Domancich nous semble curieusement y être aussi pour quelque chose), Désormais… est pour l’heure ce que le flamboyant Simon Goubert a donné de meilleur.