Pour les initiés, « l’incroyable vérité » pourrait bien être ce qui nous est révélé si d’aventure on fait l’expérience d’un buvard de LSD 25 sur le bout de la langue : une « vérité » à laquelle on ne peut pas « croire », ce qui peut sembler paradoxal. Mais cette vérité est incroyable justement. On y résiste, on lutte pour conserve sa « raison »… à moins de vouloir rester dans un certain mensonge plus sécurisant. Le disque de Sébastien Tellier pourrait être la mise en musique de ce sentiment unique de fatalité, et de mélancolie devant une innocence qui disparaît, et une nécessaire lucidité qui s’avance inexorablement. L’Incroyable vérité ressemble donc à un trip d’acide, entre montée paniquée et descente contemplative, reculant sans cesse l’échéance d’une dangereuse prise de conscience, dans une spirale d’arpèges obsessive, un mantra monomaniaque qui visera à conjurer le sort surhumain que nous percevons déjà si proche.

Le film instantané se déroule donc comme une histoire à épisodes, en trois trilogies au milieu desquelles s’intercalent trois titres séparés. La première trilogie, sans titre, part de la prise du « Pano » chez les O’Malley, au mauvais trip dans le salon anglais jusqu’à la descente pitchée et contemplative nimbée d’aurores boréales. Oh malheur chez O’Malley est un instru oppressant et progressif avec piano et Moog sur lesquels quelqu’un fait un chœur paniquant. Kazoo III se situe entre les copains Air, Gainsbourg à la tête de choux et du Bacharach étique, le tout sonnant comme dans un film de Jess franco, avec ce mauvais goût particulier, ces zooms flous et ce grain de l’image déjà daté. Universe est une ballade de guitare au coin du feu (on entend presque le bois crépiter), du Pink Floyd période More où la voix sort saturée d’effets, entre écho 60’s et vocoder 80’s, sur des nappes de synthés et un glouglou aquatique à la Edgar Froese. La trilogie se dévoile en répétitions harmonisées des thèmes.

Suit la Trilogie chien, à la tonalité sombre. Le chien, pour certains, c’est l’image de dieu inversée. L’Enfance d’un chien invoque Pink Floyd encore, plus Roger Waters que Syd Barrett, avec ses cuivres lancinants et sa basse introspective pour une remémoration allongée. Et toujours la monomanie de la grille d’accord répétée à l’infini, comme un gouffre dans lequel on descend en feuille morte. Musique fatale. Et puis le chien chante comme dans Pink Floyd in Pompei. Une vie de papa met sur un même plan le maître (le « papa ») et le chien, dans leurs deux activités réciproques, leurs moyens de communication : l’un aboie, l’autre siffle. Et les deux se rejoignent dans une humeur mélancolique et apaisée, lente et gothique, en un chœur glauque d’onomatopées indistinctes, sur une trompette de la mort, comme du Robert Wyatt mal léché. Fin chien avec son piano violent et rapide, beaucoup de sustain, ressemble à un crescendo vers le bad trip.

Sur Grec, des oiseaux chantent, la guitare écoule ses arpèges, jusqu’à Kissed by you : un des rares morceaux chantés, entre Robert Wyatt et les Beatles. La dernière trilogie, Trilogie femme est plus acoustique, laissant imaginer un intérieur domestique (on entend le grincement du bois, un rocking-chair ?, le discret carillon d’une horloge), et le chant d’une femme sur des instrumentaux stylisé et rétros (les prises de sons se révèlent savamment anachroniques) déclinant la répétitivité de mélodie qui pourrait faire office de pont vers la musique électronique (dans Face au miroir), comme une boucle primitive, un mantra pop obsessionnel, ici cinématique et expressionniste, qui se finit plutôt mal.

Au final, un album attachant par sa simplicité formelle et son caractère mélodieux, naïf et mélancolique, artificiellement bucolique et intemporel. Mais un album sombre et psychogène, comme une boucle qui se contracte et s’intensifie toujours un peu plus. Vers on ne sait quelle incroyable vérité…