Autant le dire tout de suite : sorti depuis quelques semaines, In at the deep end est considéré comme une bouse par un bon nombre de fans de grime, qui accusent le Roll Deep d’avoir fait un disque putassier, formaté pour les charts. D’une certaine manière, Dizzee Rascal, ancien membre du collectif, a joué un rôle prométhéen en s’appropriant le son nucléaire du grime et en décrochant la timbale avec ses deux albums, Boy in da corner et Showtime. Après l’échec commercial de l’album de Wiley, les membres du Roll Deep ont probablement préféré jouer une nouvelle carte, montrer que le son issu de la banlieue londonienne est plus fertile en issues qu’on ne le pensait.

Autant le dire aussi tout de suite : In at the deep end est un disque excellent, joyeux, qui s’énonce sur le fil du rasoir de la FM. Il peut-être considéré comme une sublimation, plus ou moins consciente, de la culture pop de ces vingt-cinq dernières années, balançant entre MTV et radios pirates, situant le Roll Deep quelque part entre The Specials, Wu Tang Clan et Gorillaz. Si Wiley semble quelque peu en retrait comme producteur et laisse la part belle à Danny Weed et Target, il est omniprésent comme MC et signe le titre a priori le plus anodin mais le plus emblématique de ce disque, The Avenue. Construit sur Heartache avenue, tube des Maisonnettes qui se réfugiait dans l’Amérique de Motown en pleine ère Thatcher, The Avenue, par le simple ajout de trois flows, devient une pop-song neuve, renouvelant avec ironie les clichés de la séduction amoureuse à l’ère des textos. Mais on peut y lire aussi une métaphore de la volonté de réussir, de transformer la rue sans issue en avenue vers succès – d’ailleurs, le Roll Deep vient tout juste d’interpréter ce titre à Top of the Pops, une des performances les plus hallucinantes de l’émission. Cette stratégie de pur squatt, qu’on retrouve çà et là (Shake a leg, frétillant mambo-rap ou la soul très, hum, humide de Good girl) s’avère évidemment délicate et troublante et suscite une interrogation propre à l’échantillonnage comme palimpseste : aime-t-on le nouveau titre créé ou celui investi sans gène et avec malice ?

Néanmoins, In at the deep end recèle et révèle d’autres facettes, brouille les frontières, entre hip-hop orientaliste (Show you, Let it out) et Soweto réinventé (People don’t know, Heat up) avec ce son d’accordéon numériquement forgé par Danny Weed qui rejette le ghetto comme lieu de repli urbain et le transforme en terre fertile. Les Specials chantaient la tristesse de voir disparaître le monde de leur jeunesse dans Ghost town ; le Roll Deep leur rend justice et reprend leur colère avec When I’m ere, charge collective d’une puissance inouïe, manifeste sans ambiguïté : la ville revit grâce à nous, ceux que vous avez fait grandir dans la dèche.

Et c’est en ultime pied de nez parfaitement grime que surgit Poltergeist, remixé par Terror Danjah, le fantastique producteur et patron du label Aftershock ; une autre preuve du savoir-faire sans limites du Roll Deep et un bouquet final de Mcs : Wiley, Riko, Flow Dan, Breeze, Trim, Scratchy, Brazen, Jet Le, Manga… Une autre preuve d’ironie en forme de rappel, manière de placer son territoire originel, Bow, East London, sur la carte, tout en s’avançant vers le monde, vers une reconnaissance rêvée : histoire à suivre.