On ne manque jamais, à Chronicart, de célébrer l’existence de Born Bad, label qui sait tout autant mettre en avant la scène contemporaine (The Intelligence, Cheveu, Magnetix…) qu’exhumer les pépites et bizarreries du passé (Wizzz, IVG, Biiippp, les Blousons Noirs…). Les têtes chercheuses du label ont décidé, avec cette nouvelle référence au catalogue, de nous entretenir d’un sujet qui a longtemps été un sujet de dérision chez les mélomanes : le rock’n’roll français…

Vous connaissez cette vieille vanne disant que le rock français, c’est comme la gastronomie britannique : ça n’existe pas… ou bien que ça n’est pas très digeste. Et de conclure rapidement au fait que, si les gaulois savent indubitablement faire tourner une marmite, il n’y a que les anglo-saxons pour cuisiner la sauce musicale de toute éternité. Sur la présente compilation, la gageure semble d’autant plus difficile à tenir puisqu’elle concerne la naissance du rock’n’roll, soit les années 50, en France, au moment où les anglo-saxons « dans le coup » se nommaient Gene Vincent, Elvis Presley, Eddie Cochran, Buddy Holly et tous les pionniers géniaux de cette époque.

On sait qu’en France, le genre est marqué par un péché originel lié aux deux fantaisistes qui ont ramené ce style musical dans l’hexagone : Boris Vian et Henri Salvador. Coupable d’une relation ambivalente à ce qui semblait à l’époque n’être qu’une version dévoyée du jazz et du rythm’n’blues, ces pères fondateurs ont frappé le rock français du sceau de la poilade, de la gauloiserie, du second degré là où les anglo-saxons exprimaient plutôt une rébellion adolescente, relayaient la libération des mœurs, l’envie d’émancipation de la société contrôlée par les adultes… et tout le tremblement. De fait, les titres que l’on découvrira sur Rock, rock, rock sont majoritairement sur le registre du sketche, de la pantalonnade (Faut pas m’énerver, de Rockin’ Harry & His Bros ou Tu m’as laissé tomber, de Dick Rasurel et ses Berlurons ( !) en sont de bons exemples) ce qui peut donner parfois de sacrées réussites, tel ce T’as le bonjour d’Alfred de Ferry « Rock » Barendse à la folie assez communicative quand bien même le vocaliste singe le timbre black avec la subtilité d’un Michel Leeb des grands jours. On peut même y trouver des références qu’on ne soupçonnait pas, comme sur Taillé dans le rock, d’Edmond Taillet (on sent le pseudo créé le temps d’un single, non ?) où les vers « C’est pas moi, c’est ma soeur, qui a cassé la machine à vapeur » que réutilisera l’épatant Evariste à la fin des années soixante sur son inoxydable Connais-tu l’animal qui inventa le calcul intégral ? (à quand la réédition de l’intégrale d’Evariste, chers amis de Born Bad, on vous le demande ?!).

Rock, rock, rock ne manquera pas d’intéresser les amateurs de bizarreries ou les férus de l’histoire de la musique tant il rend compte d’une époque charnière où de vieux orchestres de jazz ou d’ambiance, de ce côté-ci du channel, ont saisi le train du rock’n’roll par opportunisme, bien qu’ayant dépassé l’âge de la rébellion, ce qui donne quelques cocktails détonnants où les rythmes rock’n’roll se voient flanqués des flonflons d’un accordéon bien franchouillard ou d’un chanteur avec un accent régional rendant l’entreprise diablement décalée !