L’Angleterre nous en met plein la figure. Sérieusement. A peine a-t-on le temps d’être intrigué par ce qu’on n’ose analyser comme un sous-genre musical qu’apparaissent déjà les charts dédiés, les DJs spécialisés et les compilations. Ainsi le « UK Funky », qui s’affichait dès le mois de mai 2009 dans la somme mixée par les Crazy Cousinz This is funky house, et qui avec le recul apparaît moins comme un manifeste de début de parcours qu’un argument parmi d’autres pour une prophétie autoréalisatrice. On avait donc déniché quelques titres, comprenant à peine de quoi il était question, devinant encore moins comment étiqueter tout ça, « funky », « funky house », « UK funky » ? « Funky » effectivement, difficile de toute façons d’esquiver cet adjectif un peu dérisoire, qui semblait autant être là pour dire le tribal, le percussif, les influences dancehall. Mais alors quoi de différent vis à vis de l’electro-house percussive de certains producteurs hollandais (type Gregor Salto) influencés par la population caribéenne du pays, ou même ici, du vétéran house Dj Gregory (ses sessions Fayacombo, compilées sur Defected) ? Le préfixe « UK » se faisait donc nécessaire pour la scène anglaise, tout en venant souligner un savoureux paradoxe : c’était bien dans ce même Londres exalté qui n’en finissait plus de débiter le dubstep le plus abstrait ou teigneux que soudain, en parallèle, on prétendait réchauffer la température.

Défiant le goût des journalistes culturels pour une histoire linéaire des sous-cultures, la UK Funky House a donc le culot, dans l’ordre : de n’être pas spécifiquement locale, d’être contemporaine du dubstep, d’être son contraire et sa cousine à la fois, et de passer sur MTV à Londres en même temps que de se voir souvent recommandée d’un « TIP ! » dans la sélection hebdomadaire pointue du magasin berlinois Hardwax. C’est cette dernière ambiguïté qui pourrait justifier le titre de cette compilation de Soul Jazz – Excursions in the UK funky underground. Sauf que figure au tracklisting Donae’o, dont l’obsédant Party hard fut un vrai succès mainstream, et Crazy Cousinz, qui avaient raflé la mise avec leurs remixes de Kyla (Do you mind ?) et Meleka (Go), de véritables tubes qui ont probablement dépassé les originaux dans l’inconscient collectif et sont symboliques de la manière dont la musique dite urbaine en Angleterre fait régulièrement office de crossover entre la surface et l’underground. Si une séparation sur critères commerciaux, si l’on peut dire, a peu de sens du point de vue des producteurs, elle reste pourtant pertinente à l’échelle de cette compilation qui ne s’embarrasse pas de refrains pop.

Mieux, elle se concentre essentiellement sur la frange la plus décharnée et intimidante du genre, comme pour mieux caresser les puristes et les amateurs de rushes ghetto dans le sens du poil. Et c’est une excellente idée : projeté sans fard, ni mélodies dans les pimpons de percussions du Rass out d’Altered Natives, les bâtons tambours du Pulse vs. Flex de Lil Silva, les péristyles martiaux du célèbre « Natty » de DVA (sorti sur Hyperdub, voir plus bas), on prend un plaisir bien plus défini que celui un brin contraint titillé par les essais gloutons de Roska ou des têtes brûlées de la bande Night Slugs (qui viennent de sortir leur première anthologie, Night slugs allstars, Vol.1, sur laquelle on ferait bien de revenir sans trop tarder). Même si l’on est encore bien peiné de démêler les fils : deux ans après sa petite explosion sur les dancefloors, l’expérience de la myriade compressée sous l’estampille UK Funky donne toujours l’impression étrange de se noyer dans un marécage formel. Outre les harangues ragga des MCS, les syncopes parfaitement lisibles de la soca caribéenne et les assauts prévisibles de drop bass de plus en plus élastiques et omnipotentes, on hoche en eaux troubles quand tous les éléments de l’electro house, du garage new-yorkais voire d’une certaine techno européenne sont là – jusqu’au kick à tous les temps – sans que l’on n’ait jamais l’impression d’écouter de l’electro house, du garage new-yorkais ou de la techno européenne. De même, les découpages de violon synthétiques typique du 2-Step et du Grime le plus badass du début des années 2000 dessinent les paysages de pas mal de tracks (le Gabryelle refix de D-Malice, le Volcano riddim du vétéran garage Mj Cole) mais l’on sent bien que le propos n’a plus rien à voir. Et quand le rôdeur fureteur Kode9, boss Hyperdub (toujours le label dubstep le plus célébré dans les médias) se ramène dans les parages pour se fendre d’une tournerie nocturne idéalement chancelante, on sait pertinemment qu’on l’aurait rangé au rayon dubstep sans aucun d’âme il y a encore six mois. Bien entendu ces affaires de famille n’importeront plus pour personne d’autre que le biographe officiel du mouvement dans trois mois ; mais en attendant la cristallisation inévitable du faisceau d’énergie et sa prochaine déviation souterraine, on apprécie d’autant plus cette petite anthologie qu’elle ne sait pas trop d’où elle vient ni ou elle va.

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