Il y a quelques années, un voisin met Richard Leo Johnson sur la piste d’une petite merveille : la National Duolian, guitare métallique de 1930 très utilisée à l’époque par les musiciens voyageurs qui transportaient leurs chansons de taverne en taverne à travers le pays car elle était peu chère, elle produisait un son magnifique et, surtout, elle était très solide. Johnson récupère donc un exemplaire en bon état de cet instrument magique et, après quelques accords, découvre en l’examinant qu’un nom est gravé à l’intérieur : « Vernon McAlistair ». Il ne lui en fallait pas plus pour se mettre l’imagination en branle et concevoir cet album solo en vingt plages de toute beauté, dans lequel il exploite à fond les incroyables ressources de la National Duolian, tirant d’elle les sons les plus étranges et inattendus. Il faut dire que Johnson n’est pas n’importe qui dans le monde de la guitare : souvent comparé à d’autres explorateurs solitaires et iconoclastes, comme Ralph Towner ou Michael Hedges, il se tient à un carrefour insituable vers lequel convergent des lignes guitaristiques qu’on aurait pu croire inconciliables -Pat Metheny et Jimi Hendrix, Derek Bailey et Leo Kottke. The Legend of Vernon McAlistair est à l’image de son créateur : un album impossible à classifier, sorte de voyage au pays des merveilles à cordes en vingt vignettes qui s’inspire aussi bien du jazz que de la musique folk, de l’ambiant que du minimalisme contemporain. On se demande souvent comment Johnson triture son instrument pour en tirer des sons pareils : aquatiques, nébuleux, pareils à des tintements de clochettes, quasi new-ageux par endroits, sans jamais être lénifiants ni clicheteux. Jouant sur la création de climats et d’atmosphères, usant et abusant de toutes sortes de réverbérations, cette musique à la croisée des chemins entre country spatialisée et avant-garde enracinée fera se pâmer tous les amateurs de guitare bizarre, en particulier les fans des voyages intercontinentaux de Bill Frisell (on songe parfois à son magnifique album solo Ghost town) et des connexions américano-orientales inédites de Gary Lucas. Inclassable, envoûtant, magique.