C’est une vraie surprise que de voir ces deux-là atterrir sur un label français ; plus grande encore quand on sait que le label est la nouvelle mouture de Noise Museum… On n’ergotera pas sur les raisons qui peuvent bien animer le boss d’Alice in Wonder à distribuer un disque de ce duo américain (le disque sort aux USA sur Carrot Top), dont l’intégralité des productions précédentes sont parus sur le label américain Simple Machines (sous-label du chicagoan Quarterstick). On se réjouira juste de saluer la sortie de ce disque. On aime beaucoup Retsin, pour la simple et bonne raison qu’il est composé à moitié de la géniale Tara Jane O’Neil, qui faisait partie du légendaire groupe Rodan (dans lequel on trouvait Jason Noble, ensuite parti former Rachel’s, et Jeff Mueller, de June of 44, c’est dire si le groupe est important pour la scène alternative américaine), et qui écume depuis les projets indispensables : Sonora Pine, avec Sean Meadows ; son projet solo (Peregrine est le chef-d’oeuvre folk de l’année passée), et donc Retsin, usine à chansons formée avec Cynthia Nelson (du groupe new-yorkais Ruby Falls). C’est tout l’esprit Quarterstick que l’on retrouve sur ce disque, celui de l’expérimentation douce et de la douceur boisée, des après-midi ensoleillés et poussiéreux de la petite ville de Louisville.

Rien de post-machin donc dans cette très jolie collection de chansons de folk médiéval, chantées à une ou deux voix, à la fois mélancoliques et enjouées. Les plus originales sont celles où Tara Jane est la plus présente, car elles possèdent une étrange grâce « monotonale » et posée qui leur donnent un aspect un peu hermétique unique qui fait qu’on le peut jamais les posséder du premier coup. Sepia shade, par exemple, qu’on jurerait extrait de Peregrine, avec son piano lent et ses entrelacs de voix statique, a quelque chose de trouble et de flou qui fait qu’on ne comprend jamais vraiment la mélodie ni l’émotion que cette dernière transporte : sa mélancolie est ambiante, digne, et jamais pleurnicharde. A l’image du reste du disque, où les accès d’émotion chiches de Cynthia Nelson sont toujours ou presque contrecarrés par la subtilité voilée de Tara Jane. La tristesse de ce disque est diffuse, jamais plombée, jamais évidente.

Le temps de quelques ritournelles médiévales (Bright sunshine, The Good lady obstacle, Carnival), Restin agace un peu pour la facilité des ambiances qu’elles choisissent, mais la plupart du temps, une déliquescence jazzy écrase le tempo et les facilités mélodiques : Bug song amène de merveilleux cuivres endormis, Berries quelques accords tellement homéopathiques qu’ils rappellent Movietone (c’est un très énorme compliment, vous savez). Broke voit Tara Jane pousser un peu la voix et aiguiser ses sentiments, mais sans jamais atteindre le romantisme attardé d’un Rex, dont le duo récupère cette façon si particulière de frotter les cordes de son banjo ; Oahyo Mtn Road, Dog and a butterfly ou Flatleaver montrent avec quelle subtilité les deux américaines maîtrisent l’idiome country et la langue du delta, pile-poil à mi-chemin entre l’introspection façon David Pajo et le classicisme de Freakwater ; le magnifique Southwater clôt le chapitre de cet opus en demi-teintes, à la fois incandescent et délavé comme un bout de bois qu’on aurait laissé vieillir au soleil.

Cabin in the woods n’est pas le meilleur disque de Retsin, car il n’atteint pas les sommets de Egg fusion ou de Sweet luck of Amarryllis, tous deux sortis sur Simple Machines. Mais ces deux derniers sont probablement tellement difficiles à trouver dans notre belle France, que cet album qui sort donc sur un label français est l’occasion inespérée de découvrir Retsin, et surtout sa moitié Tara Jane O’Neil. Ca y est, je viens de comprendre. Merci Alice in Wonder.