Le grand public connaît assez peu le nom du pianiste suisse René Bottlang, auquel on doit pourtant quelques beaux albums (on se souvient de son disque hommage à Bobby Lapointe, Round about Bobby, enregistré en compagnie de Phil Minton) et une série de rencontres mémorables avec quelques pointures du jazz, de Charlie Haden à Barre Phillips et de André Jaume à son confrère Mal Waldron ; évoluant entre musique classique et jazz, arpentant volontiers les estrades des grands rendez-vous européens (on l’a vu à plusieurs reprises au Mans, à Banlieues Bleues et ailleurs), il a sur la scène contemporaine une personnalité singulière et élégante que viennent renforcer sa discrétion et sa propension irrésistible aux voyages. Solongo aurait pu s’intituler L’Echappée belle, comme le remarque le journaliste et directeur artistique du label Jean-Paul Ricard dans ses notes de pochettes : L’échappée belle, c’est le titre de l’un des livres de Nicolas Bouvier, compatriote de René Bottlang et infatigable nomade lui aussi, qui disait de l’écriture ce que le pianiste pourrait sans doute dire de la musique : « Quand elle approche de ce qu’elle devrait être, elle ressemble au voyage parce qu’elle est comme une disparition ».

Ainsi est-ce après un long moment passé loin de la Suisse et de la France (où il est installé, dans le Sud, depuis un quart de siècle), en Mongolie, qu’il a enregistré Solongo : 14 thèmes comme autant d’étapes dans un parcours solo véritablement conçu comme un voyage, avec ses paysages inattendus (huit compositions originales) et ses monuments impérissables (six reprises). Mais même lorsqu’il passe par le So what de Miles Davis ou le Straight no chaser de Thelonious Monk, René Bottlang ne les approche que d’une manière personnelle, brisant par exemple le rythme du morceau de Miles pour le dilater en longues phrases impressionnistes là où l’on aurait attendu, au contraire, une main gauche en béton pour un groove au cordeau. C’est le cas ailleurs, sur certaines compositions personnelles qui font partie des meilleurs passages de l’album (B.B. ou le splendide et cocasse Avec des si) ; attaché à la clarté de ses lignes mélodiques et à la clarté de son discours, extrêmement élégant dans son touché comme dans son phrasé, René Bottlang évoque tantôt le Corea des Piano Improvisations, tantôt le Jarrett des meilleurs albums solos, encore qu’il ne soit bien sûr réductible ou réellement comparable à aucun d’entre eux. 23 ans après In front, son premier album en solitaire, il signe avec Solongo un disque que ne devrait manquer aucun amoureux de piano.