Présentés dans l’ordre inverse de la composition aux fins probables de tirer de leur succession à rebours un intérêt croissant, voici pour la première fois en disque les travaux académiques par lesquels le jeune Maurice Ravel, un peu poussé par Fauré, son maître, tenta d’obtenir les honneurs d’un prix de Rome qui presque toujours échappa à ceux qui l’auraient le mieux servi. Il postula donc cinq fois, de 1900 à 1905. Mais pour parvenir à l’épreuve suprême de la cantate encore fallait-il passer le premier tour (fugue et pièce chorale), ce qui ne fut le cas ni la première fois, ni la dernière. Myrrha (1901) fut donc son premier exercice du genre et peut-être le plus réussi. Jouant le jeu, sur un argument imposé, notre compositeur déploie les fastes de l’orchestre français : le style Massenet domine, mais on entendra aussi les legs de Gounod et de Saint-Saèns dans le profil de certaines lignes vocales comme dans les couleurs orchestrales. Entre pastiche et hommage rendu à une tradition puissante bien que rattrapée alors par l’académisme, Ravel fait montre d’un métier plus que certain. L’orchestre est sollicité sur plusieurs registres du mode élégiaque aux sonneries triomphales de l’ennemi vainqueur qui closent avec panache la cantate et le programme. Il n’y eut que des seconds prix : pas de villégiature romaine. En 1902, Alcyone le représenta sans plus de succès : il ne fut pas même cité. Sa partition est pourtant la plus complète dans ses effets, puisque outre les exercices imposés par le genre, airs, duos et trios vocaux, l’argument requiert cette fois une page symphonique. Que l’on ne s’attende pourtant pas à trouver là ce Ravel qui déjà fait parler de lui dans les salons éclairés, auteur de mélodies hardies, au raffinement nouveau, plus acide (gardons à l’esprit qu’il a déjà composé et fait jouer la Habanera, la Pavane pour une infante défunte, et, surtout, les Jeux d’eau !). Cette page renvoie davantage au passé auquel il tend le miroir en étudiant génial mais discipliné (le « très bon élève, laborieux et ponctuel » de Fauré), qui a tout assimilé d’une tradition qui mène de Berlioz à Chausson et se trouve des parentés avec les Russes. Avec Alyssa (1903), il devient clair que le compositeur est ailleurs, déjà, que la motivation est faible, sans doute rien autre que pécuniaire, et que l’exercice est cette fois trop fastidieux pour mériter un traitement plus profond -1903 : l’année du Quatuor… Manque d’unité, curieuses évocations pucciniennes, le style français tourne ici à vide. Pour être complet, signalons qu’après s’être exempté de concours en 1904, il cédera aux insistances de Fauré en se représentant en 1905. A trente ans il est déjà salué comme l’un des plus brillants compositeurs modernes (Schéhérazade, Miroirs, d’étonnantes grappes de mélodies). Il sera désormais l’objet d’une polémique qui sacrera a contrario le maître qu’il est devenu. Ce n’est plus un postulant que l’on juge mais un rival.

L’intérêt historique suffirait à distinguer cet album, mais, Ravel mis à part, il faut en retenir, surtout, le bonheur de retrouver certaine tradition du chant français que l’on aurait pu croire disparue à jamais : Yann Beuron, Véronique Gens, Mireille Delunsch, Paul Groves ressuscitent enfin la diction parfaite, claire et naturelle, l’élégance sans affectation, l’émouvante simplicité de la ligne, la facilité d’émission des grands chanteurs des années cinquante, les Ernest Blanc, Janine Micheau, Michel Sénéchal et autres Gabriel Bacquier. Après Crespin, personne n’avait ainsi restauré son charme irrésistible enterré sous les fadeurs et vulgarités d’un « style international ». Tout amateur de voix, tout amoureux du chant se doit désormais d’écouter ces cantates. Les autres chanteurs de la distribution ne font d’ailleurs nullement triste mine, mais un vibrato plus important, une prononciation moins idéale souffrent un peu de l’excellence de leurs comparses. Quant à l’orchestre du Capitole, il retrouve là un de ses terrains privilégiés, transparence, couleurs, raffinement sont au rendez-vous ravélien sous la baguette inspirée d’un Plasson qui donne de la tenue à ce qui pourrait aisément sombrer dans la parodie. Encore !

Alyssa : Véronique Gens (soprano), Yann Beuron (ténor), Ludovic Tézier (baryton). Alcyone : Mireille Delunsch (soprano), Béatrice Uria-Monzon (mezzo), Paul Groves (ténor). Myrrha : Norah Amsellem (soprano), Paul Groves (ténor), Marc Barrard (baryton). Orchestre du Capitole de Toulouse, dir. Michel Plasson. 2000.