Jean-Marc Luisada va bien. Finis les contrats avec Deutsche Grammophon, l’incontournable label jaune. Il a trouvé avec RCA/BMG le partenaire idéal, qui l’encourage à explorer le répertoire dans des perspectives nouvelles. On ne reviendra pas trop sur ses succès récents chez BMG. Excepté une sélection de tubes absolus (Etude révolutionnaire, Fantaisie, Valse brillante, Nocturne… de Chopin), la firme a eu l’intelligence de lui faire graver les Chants du Rhin du jeune Bizet et surtout un premier concerto de Frédéric Chopin dans une formation de chambre rare (avec quintette à cordes, tel que le compositeur l’interpréta lui même). Succès public, critiques dithyrambiques (choc du Monde de la Musique, grand prix du disque français par-ci, 10 de Répertoire par-là…).

En cette fin 2000, Luisada signe le plus beau disque Schumann sorti depuis des lustres. Jusqu’à Arthur Rubinstein (combien de versions de l’opus 12 ?) ou Vladimir Horowitz (Scènes d’enfants, Kreisleriana…) ?
Le voyage commence avec les Papillons opus 2 : Schumann a 20 ans et transpose en musique une scène de roman (une œuvre autobiographique de Jean Paul Richter). Jean-Marc Luisada y mêle les couleurs, celles de Vienne dépassée -chères à Franz Schubert- et les hardiesses harmoniques de son temps, évitant les contrastes tapageurs si souvent joués au premier degré par d’autres pianistes.
Le Carnaval opus 9, dont la discographie est riche, semble tout neuf, comme improvisé. Son Carnaval est une fête aux parfums constamment renouvelés, Pierrot, Arlequin, Chopin, Paganini ou Promenade, tant de fragments énigmatiques dominés selon Luisada par L’Impression de mort au milieu des confettis. Son sphynxes (des brumes harmoniques captées dans les profondeurs du piano) tient ses promesses. Luisada s’inspire des vieux albums de Sergei Rachmaninov et de Michelangeli (en ajoutant comme lui un trémolo grimpant des basses aux aiguès) mais reste original à tout instant.
Pour clore l’album, il fait entendre (presque une première) les Variations fantômes, appelées aussi Variations sur un thème des esprits.

Composées dans la nuit du 17 au 18 février 1854 « sous la dictée des anges », nous rappelle Michel Schneider, ces variations qui n’en sont pas vraiment sont les dernières notes qu’écrira Schumann sombrant dans la folie. C’est l’adieu d’un mort vivant, l’étrangeté faite musique. Pourquoi Clara, sa femme, a-t-elle retiré ces variations du catalogue des œuvres de son mari ? Pourquoi ne les redécouvrir qu’aujourd’hui ? Schumann s’est jeté quelques minutes plus tard dans le Rhin et ne rata son suicide qu’en apparence. Les Variations fantômes, aussi, disent cela.

Papillons opus 2 ; Arabesque opus 18 ; Carnaval opus 9 ; Variations fantômes : Jean-Marc Luisada (piano).