Dans la première incarnation du Quatuor Accorde (1998), Tony Wren était entouré de Sue Ferrar (v), Ivor Kallin (alto) et Marcio Mattos (cello). Mais bien d’autres avatars l’avaient précédée. En vérité, Tony Wren s’est engagé dans cette voie dès le début des années 80 : du London Bass Trio -qui subsiste-, à Voicings (trois chanteurs et trois cordes) en passant par de nombreuses rencontres avec d’autres fins archets (Wachsmann notamment, dans Chamberpot), son attachement à cette formule qui depuis quelque temps semble se développer ne s’est jamais démenti. La splendide maturité du présent Quatuor résulte donc autant d’une recherche obstinée que de la réunion de quelques-uns des meilleurs improvisateurs sur ces instruments de la scène britannique. Trois brefs solos de Tony Wren, posés, profonds, d’une splendide autorité, encadrent deux séries d’improvisations publiques. Le recours assez constant aux sons harmoniques (Slow getaway), à toutes les modalités du frottement -en pression et vitesses (Scraping through)– fait qu’au croisement des voix (avec ce que cela suppose, pour chacune, de continuité linéaire dans un parcours individuel) se substitue l’éclosion simultanée d’une masse. Une masse légère, aérée, soufflée, aussi étagée que le permet une formation embrassant toute la famille des cordes, de la contrebasse au violon. Exploitant au mieux son homogénéité, le quatuor mise plus généralement sur la complémentarité que sur le contraste, donnant la sensation que la musique diffuse à partir d’un noyau gazeux (The End of the beginning). La grande beauté des timbres, alors même que cela grince et craque de toutes parts, l’essaimage des registres et des tessitures, le sens de la densité et de la mise en espace concourent à rendre extrêmement séduisante une musique pourtant exigeante, construite avec autant de rigueur que de liberté (Eye of the needle). Luisances, tamisages, la forme se dessine à partir de l’accumulation du ténu : bris, fragments, mouvements fugitifs. Une pièce rayonne de feux dardés, scintillants ; une autre fourmille de mille traits brisés qui s’agencent, aimantés, en nuages versicolores ; ailleurs c’est un fourmillement peu dense de pizz que traversent des segments irisés tandis qu’une rumeur au loin de véhicules qui passent ajoute aux profondeurs transparentes d’un espace largement ouvert (St Michaël’s Mount). Finesse du son, élégance des gestes, c’est un monde qui s’offre, tout de douceur et de sérénité mais sans mollesse ; au contraire, toujours habité d’événements précieux, rapides comme les secondes en fuite d’un bonheur infiniment régénéré.

Phil Durrant (v), Charlotte Hug (alto), Mark Wastell (cello), Tony Wren (b). 1998-2000.