« … C’est le disque de quelqu’un qui sait et qui n’en retire aucune fierté / Parce que la vérité distribue la honte / Honte d’être minable, égoïste et sans projet / Si ce n’est celui de continuer à cultiver la seule chose qui ait porté ses fruits / L’idéalisme / Ce disque est son fruit / Et aussi la preuve que je suis égoïste et minable / Et aussi une grosse merde / Tous les disques sont de la merde / La seule chose qui n’est peut-être pas de la merde / C’est de savoir apprécier le silence…. Je ne tiens pas spécialement à vous accrocher avec du style / Mais j’y suis obligé / Sans quoi il n’y aurait sans doute pas lieu d’être commercialisé / Mais sachez bien que c’est de la merde… »

Voilà qui a le mérite d’être clair. Programme, le duo composé d’Arnaud Michniak (ex-Diabologum) et Damien Bétous, pose la problématique sur laquelle repose tout le disque, leur seule œuvre à ce jour. Grossièrement, on pourrait dire qu’ils s’opposent violemment à une certaine conception de la musique, donc de l’art, et à certaines attitudes et mentalités, mais en même temps ils admettent, en postulat, faire partie et contribuer à développer ce qu’ils condamnent. Alors, profession de foi intéressante et originale, prise de position artistique forte, ou dédouanement coupable, excuse un peu facile ? Pour ça, il vous faudra écouter le disque. Car Mon cerveau dans ma bouche -tout un programme- est un disque à la fois intéressant, « accrocheur » par certains aspects, et aussi agaçant, car loin d’être parfaitement abouti. Musicalement, on n’est pas très loin des titres les moins accessibles du dernier opus de Diabologum, # 3, objet sonore conceptuel tombé comme un ovni dans le pré carré du rock français il y maintenant plus de trois ans. Notamment Demain, dont sont extraits les fragments de texte figurant en ouverture de cette critique. Et avec une entrée en matière pareille, ne doutons pas que la critique sera dans l’ensemble féroce avec Programme. En dehors du fait que ce type de déclaration, qui plus est dans un univers sonore assez ascétique, ne soit pas une déclaration d’amour envers les auditeurs du disque ou qui que ce soit d’autre, on a envie de dire bien vite que ce manifeste, finalement assez peu contestataire, peine à passionner, à fasciner. Hors, la barre étant placée haut, c’est ce vers quoi il devrait tendre. Car ce n’est pas le tout de tordre la cou de manière assez radicale au format pop, de l’envoyer valdinguer ; encore faut-il proposer une alternative. Et là, on se pose la question, avant de la retourner à Michniak et Bétous : elle est où, la solution miracle, les gars ? Ah bon, y en a pas ? Donc, le dégoût des autres et de soi serait de facto une nouvelle forme d’expression artistique ? Ouch, ça passe difficilement.

D’un autre côté, les plus ouverts et les plus indulgents d’entre nous seront tentés de dire : « Bravo, même si vous ne proposez rien en dehors de la politique de la terre brûlée, au moins, vous avez le courage d’aller au feu, de l’allumer, de vous cramer au troisième degré, et ça, c’est une attitude suffisante en elle-même pour que finalement on vous respecte. » Un peu hard, non ? C’est clair, certains d’entre vous auront une grosse envie de leur foutre deux baffes, aux deux gars de Programme. Cependant, si l’on fait fi des grands discours, Mon cerveau dans ma bouche recèle quelques moments intéressants, dans l’agencement sonore, dans les ambiances distillées, dans les options de diction (Je sais où je vais, Boomerang). Voilà un disque qui plonge dans le doute. Grave. Peut-être était-ce tout simplement le but de Programme. Je vais le réécouter un coup. Ca vaut mieux. Je sens mon cerveau qui glisse vers mon clavier.