Chro : En France, vous restez un groupe très confidentiel. Pouvez-vous nous raconter comment s’est formé Pretty and Nice ?
Holden : Le groupe est né à Burlington, dans le Vermont, il y a huit ou neuf ans. Il s’est développé avec des membres différents pendant deux ans, et on a enregistré un premier album. Puis avec Jeremy, on a voulu aller de l’avant, alors on s’est installés à Boston.
Jeremy : Le Vermont, c’est très beau, c’est un bel endroit à la campagne (A Beautiful Place Out in the Country, titre de l’ineffable EP de Boards of Canada), mais ce n’est pas la terre la plus fertile pour le noise rock. Je suppose que Holden et moi finirons tous deux par retourner vivre dans le Vermont, mais là-bas, à ce stade de notre existence en tant que groupe, ce n’était pas tenable.
Holden : On a grandi dans des villes voisines, mais on ne se connaissait pas avant de bosser ensemble. À l’origine, c’est le groupe Brainiac qui nous a réunis, parce qu’on en était dingues tous les deux. Ce groupe nous a toujours influencés.
Jeremy : Oui, c’est en gros ce qui s’est passé. Moi, j’avais entendu parler, par un ami commun, d’un type qui vivait dans une petite ville pas trop loin et qui était fan de Brainiac. Il fallait absolument que je le rencontre. C’était Holden. Alors je me suis rendu à un des tout premiers concerts de Pretty and Nice, dans un sous-sol. On s’est brièvement rencontrés, et j’ai compris qu’ils voulaient enregistrer un album. Alors je leur ai proposé de le faire pour eux. Puis je suis devenu leur bassiste pendant un moment. Et quand le batteur, qui composait aussi des morceaux, est parti, on a dû repeupler le groupe, et j’ai fini par prendre cette place de co-leader.

C’est aussi toi qui produis les albums, pas vrai ?
Jeremy : C’est ça. C’est moi qui appuie sur les boutons. On s’amuse bien quand on enregistre un album de Pretty and Nice.

Cela s’entend. « Fun » est un mot qui revient très souvent dès qu’on lit des choses à votre sujet. On vous compare souvent à Devo.
Holden : On n’est pas aussi dingues de Devo que ce que les gens semblent croire. Au moment où je te parle, nos influences viennent de partout.
Jeremy : On aime chacun plein de genres musicaux différents, mais l’aspect électronique de notre musique provient de notre goût commun pour le son de Madchester. À part ça, on aime tous les deux Abba, les Beatles, les Supremes – la base, quoi. Et je suis un grand fan de Warp : Boards of Canada, ce que fait Mr James, Autechre… Tous en fait.

Vous n’écoutez donc rien qui puisse être comparé à votre groupe ?
Jeremy : Pas vraiment.
Holden : Deerhoof… c’est ce qui s’en approcherait le plus.
Jeremy : Ou peut-être Spoon, parfois ?…

Inversement, avez-vous des plaisirs coupables, en tant qu’auditeur ?
Holden : Il n’y a rien qui nous fasse honte dans ce qu’on écoute.
Jeremy : Non, pas vraiment. J’écoute beaucoup de musique qui serait méprisée par les hipsters. Mais aussi beaucoup de choses que les hipsters devraient connaître !
Holden : Pendant toute la tournée qui s’est déroulée en octobre et novembre, je n’ai écouté que Luis Bonfá.

J’ai lu dans un article de Pitchfork que vous êtes passés par des phases difficiles, dans le monde de la musique, ce qui expliquerait votre mépris pour les hipsters, c’est-à-dire, selon l’article, pour les « golden people » du titre de votre dernier album.
Holden : On n’est pas d’accord avec cette interprétation. Le titre, « règles d’or pour gens dorés », n’avait rien de sarcastique. Ça nous a surpris qu’on puisse penser cela, au début, puis on a compris ce qu’ils voulaient dire. Mais c’était à côté de la plaque. Ce que veut dire le titre de l’album est beaucoup plus naïf.
Jeremy : Ce qui n’est vraiment pas « hip », pour le coup. On n’a aucun sermon spirituel à assener à quiconque. Le disque ne condamne personne. Ce serait plutôt le contraire, en fait, de notre point de vue.

Quand j’écoute votre musique, en particulier Golden rules for golden people, je ne peux pas m’empêcher de penser à Supergrass. Ils ont commencé avec un album de punk pop très gai, très positif, ce qui les a fait passer pour un groupe léger, marrant mais sans ambition musicale, alors que leurs compositions ont toujours été très inspirées, sophistiquées et subtiles. Ils n’ont jamais pu se départir de cette étiquette, quoi qu’ils aient fait par la suite. Cela ne vous fait pas peur de tomber dans le même piège ?
Jeremy : On fait la musique qu’on a envie de faire.
Holden : J’ai toujours espéré que la complexité de notre musique ne soit pas apparente. Si les gens veulent y trouver complexité et profondeur, ils y arriveront : elles sont là effectivement. Mais ce ne sera jamais le but de notre musique.
Jeremy : C’est de la musique fun, sans prétention. Le risque que tu évoques existe, mais il ne m’a jamais inquiété. La complexité, dans la musique, c’est comme le ménage. Quand tu fais le ménage chez toi, de manière réfléchie, ça ne devrait pas se voir. Ce qui se voit, c’est quand tu ne le fais pas.
Holden : Belle comparaison !
Jeremy : Tout ce qu’on veut, c’est que les gens soient contents. On veut que notre musique les excite, les fasse sourire. C’est tout. D’ailleurs, ces complexités nous font sourire, nous, en tant que musiciens. C’est jouissif, de changer de rythme, de tempo en plein milieu d’un morceau. C’est sûrement pour cela qu’on adore Deerhoof. Pour ma part, franchement, je nous ai toujours considérés comme un simple groupe de pop.

Vous voulez que les gens soient contents, dites-vous. Dans l’album, il y a cette phrase qui ouvre l’album et revient plusieurs fois par la suite : « We are all instruments ». Est-ce une devise, pour vous ?
Jeremy : Carrément. Je pense sincèrement que rendre les gens heureux, c’est cela qui changera le monde. C’est un phénomène qui fonctionne comme un cycle, un cycle qui s’autoalimente, parce que nous sommes tous les instruments d’actions, de création.
Holden : Pour moi, ça veut surtout dire : « Nous sommes tous des êtres musicaux et magnifiques ». Alors quand Pitchfork semble nous faire dire que les gens sont les instruments du gouvernement, ou ce genre de choses, on est perplexe…
Jeremy : Les gens sont peut-être, effectivement, les instruments du gouvernement, on peut comprendre cette phrase de cette manière… Mais pour nous, le message est beaucoup plus simple : soyez bon envers votre prochain, et votre prochain vous le rendra !
Holden : Exactement : des « règles d’or », quoi !

C’est drôle, parce que ça, ce n’est vraiment pas hip. Dans la presse musicale, en général, le mot « sombre » veut dire « intéressant ». « Sombre » et « mature ».
Holden (rire) : C’est toujours le cas ? J’avais cru comprendre qu’on en avait fini avec ça, qu’être sombre c’est cool. Mais ça change tout le temps, de toute façon.
Jeremy : Tu veux dire, sombre et mature comme Lorde ? (rire).

À mon sens, « Money Music », qui d’ailleurs n’est vraiment pas sombre du tout, comme le reste de l’album, est un vrai tube potentiel. C’était votre intention ? D’autant que son titre me rappelle We’re only in it for the money de Zappa, et bien sûr, In it for the money de Supergrass.
Jeremy : Tous nos morceaux sont des tubes !
Holden : Ça n’a pas été facile de savoir quel morceau de l’album pourrait constituer le single.
Jeremy : Moi, je pensais que « Critters » était un choix évident… Eh bien non. « Money Music » se devait de ressembler à un tube, parce qu’elle parle de la monétisation de la musique.

Il s’agissait de combattre le mal en utilisant ses propres armes ?
Jeremy : Ce qui nous intéressait, c’était le paradoxe de la situation : écrire un tube qui se gausse de l’existence même d’une industrie de la musique. Il ne s’agit pas de combat. D’ailleurs, je ne crois pas au combat. Se battre, ça ne marche jamais, surtout dans les chansons. Du coup, « Money Music », et tout l’album d’ailleurs, ne parlent que de ceci : se détacher des vieilles idées, des vieilles méthodes, et s’en libérer. C’est quand même une bonne blague, que la musique, qui est l’expression éternelle de la liberté, puisse être utilisée pour contrôler les gens.

Vous ne voulez donc pas faire partie du business de la musique ?
Jeremy : On veut faire partie de la MUSIQUE ! Alors, certes, la musique est devenue une industrie, et nous en faisons partie. Mais on a un rêve. Golden Rules, c’est comme une toile de Chagall qui représente un rêve.

Je me demandais si le fait d’avoir sorti votre deuxième album, Get Young chez Hardly Art, label affilié à Sub Pop, vous a mis sous pression pour le suivant. Golden Rules a été publié par un label différent, Equel Vision, quatre ans plus tard.
Jeremy : Pas de pression, non. La situation, avec les labels, est devenue très fluide, et je ne parle pas que de nous. Avant, les labels s’associaient aux groupes pour de plus longues périodes, parce qu’ils avaient tout intérêt à profiter des intérêts tirés de la créativité des groupes. C’est encore le cas pour certains labels, mais à cause de l’Internet, le cycle d’un album, c’est-à-dire le temps qui s’écoule entre la composition, l’enregistrement, la promotion et la tournée, s’est considérablement réduit. Du coup, les labels ne s’inquiètent plus que de la quantité des disques qu’ils sortent. La relation entre les artistes et leur label est beaucoup plus éphémère. Je ne veux pas dire, non plus, que les labels se foutent de la relation qu’ils ont avec leurs artistes.

Holden : Enfin… À notre niveau, personne ne se soucie de nous en tant que groupe.
Jeremy : Ça, ça a changé, et à un rythme que personne dans le milieu n’arrive à suivre. Il y a tellement de groupes signés par des labels. Qui sont-ils ? Ont-ils tourné ? Est-ce que quelqu’un les connaît ?
Holden : On pourrait peut-être reparler de musique ? Ce sujet, le business musical, n’amène jamais rien de bon…

Très bien. Qui compose dans Pretty and Nice ? Holden propose un morceau, et Jeremy un autre ? Composez-vous en tant que duo ? Un trio ? Il se passe tellement de choses dans vos chansons. Par exemple, « Stallion and Mare », ou « Mummy Jets » : chacune compte quatre ou cinq parties différentes, sans qu’elles semblent collées les unes aux autres artificiellement. Vos chansons sont compliquées, et pourtant elles coulent de source.
Jeremy : On a écrit la plupart de Golden Rules à deux. Mais on avait composé certains morceaux presque entièrement chacun de notre côté, avant de les partager pour les enregistrer. Holden et moi sommes plutôt des partenaires d’arrangements que d’écriture.

Vous avez récemment tourné aux Etats-Unis et en Europe. Vous avez constaté des différences ?
Holden : Clairement. Mais certaines villes pourraient être jumelles. Les publics de Baltimore et de la province allemande par exemple. Mais plus que les spectateurs en soi, c’est la culture du spectacle qui fait la différence entre l’Europe et les Etats-Unis. J’ai toujours du mal à mettre le doigt dessus, mais j’ai l’impression que les gens, ici en Europe, en auront toujours quelque chose à foutre, quand il y a un spectacle, grand ou petit.
Jeremy : Les événements culturels font l’objet de davantage d’attention en Europe. En Europe, on subventionne l’art. Alors les gens savent que c’est quelque chose d’important, fondamentalement. Cela dit, on n’est pas sociologues. On est juste assez observateurs pour voir quand un bus passe, et pour ne pas se faire écraser.