Le Popol Vuh de Florian Fricke, c’est cet énième mastodonte tutélaire des 70’s teutonnes dont peu ou prou toutes les jeunes gardes expérimentales, déjà trop tourmentées par le poids du passé, se passeraient bien. Malheureusement pour elles, la discographie du groupe, pléthorique et captivante de bout en bout, est intégralement disponible à nouveau depuis 2006. Dix ans après la disparition de Fricke, le label SPV a même décidé d’en remettre une couche : quelques mois après la sortie de l’indispensable coffret Soundtracks qui rassemblait l’intégralité des bandes originales du groupe pour Werner Herzog, Roland Appel (Fauna Flash, Trüby Trio) et le frérot Johannes Fricke nous servent l’inévitable anthologie, accompagnée de son sempiternel disque de remixes. Amis mélomanes, ne fuyez pas.

Certes, le volume de remixes est à peu près aussi inutile que le très naze Sacrilege bricolé par Mute autour du catalogue de Can il y a une dizaine d’années (mis à part les revisitations grandioses de Mika Vainio et Haswell & Hecker, déjà publiées dans des versions légèrement différentes sur Mego en 2008, tout est hors-sujet). Mais à l’heure où n’importe qui peut télécharger n’importe quelle intégrale en deux temps, trois liens google, l’initiative d’une anthologie volontairement thématique est bien plus pertinente qu’il n’y paraît. Diablement intelligente dans ses choix, cette compilation succincte repasse ainsi quasi exclusivement l’étendard de pionner électronique du groupe sans se préoccuper de la cohérence hagiographique. Exit trois pans et autant de chefs d’œuvres électriques (Hosianna mantra, Letzte tage, Letzte nächte, Coeur de glace) de la longue et sinueuse carrière du groupe, on picore ici exclusivement dans sa toute première époque (celle d’Affenstunde, dévouée à la transmutation de séquences de Moog modulaire en bruit de l’antiquité) et dans ses deux dernières, quand Fricke s’empara des premiers samplers et du Synclavier.

Sans surprise, l’album s’ouvre bien sûr sur le thème sépulcral d’Aguirre, le plus célèbre et révéré des morceaux synthétiques du groupe (d’ailleurs enregistré une éternité avant la sortie du film), et compacte à sa suite quelques incontournables de son premier cycle électronique (Affenstunde et Ich mache einen spiegel sur Affenstunde, l’odyssée éponyme d’In den gärten pharaos). Mais dès Grab der mutter ou Brüder des schattens, respectivement tirés des magnifiques B.O. de Cobra verde et Nosferatu, on virevolte vers le milieu des années 80 pour souligner une évidence : il suffit souvent de faire glisser une œuvre de son contexte pour faire vibrer l’intensité de ses couleurs. Ainsi le très beaux In your eyes (vraisemblablement pas tombé dans l’oreille d’un Carl Craig sourd) ou Nascita, pourtant enregistrés pendant les 90s pas franchement reluisants du groupe, font des étapes presque aussi chavirantes que le long edit tétanisant de beauté du Train through time, déjà excavé sur le remaster de Affenstunde. Plus crucial enfin pour les nerds, le grimoire se referme sur Kailash : Last village, chute inédite tombée des sessions d’Aguirre publiée pour la première fois de manière officielle. On a donc même pas honte de l’écrire : pour le néophyte de passage comme pour le fan d’ambient allergique à l’avance aux solis de guitare de Daniel Fichelscher et Conny Veit, Revisited & remixed est une porte d’entrée idéale dans l’oeuvre sublime et abyssale de Popol Vuh.