Plastic Moonrise a sorti sur sa page bandcamp sa première cassette, Tick Tock The Clock, accompagnée d’une auto-édition de ses poèmes. Derrière ce nom se cache une charmante poétesse anglaise, Catherine Norris. Inspirée et encouragée par son amie défunte Trish Keenan, de Broadcast, elle s’est mise à élaborer des acrostiches sonores hantés par une présence spectrale, apportant consistance à sa poésie à la fois terrestre, céleste et corporelle. Elle pose son délicat accent british sur d’étranges berceuses électroniques qu’elle bricole avec des instruments de fortune, non sans rappeler une certaine Anne Laplantine.  Ses poèmes, laconiques et concrets, sont issus de carnets remplis d’écriture automatique, dans lesquels Catherine travaille à retranscrire des images qui la hantent, avec des mots simples, dans la lignée d’une Gertrude Stein.

Ces vers, Catherine les chuchote, comme autant de secrets que des enfants terribles se glisseraient à l’oreille. Certains de mes poèmes ont été publiés dans les anthologies de mon école et j’ai continué à en écrire après ça, raconte Catherine qui s’est mise à la poésie vers l’âge de 11 ans. Sa rencontre plus tard avec Trish Keenan fut décisive : Quand j’ai fait la connaissance de Trish, elle étudiait l’écriture créative à l’université, j’avais environ 25 ans et c’est elle qui m’a poussée à reprendre mes études. Je suis donc retournée à la fac et j’ai utilisé par la suite une partie de cette écriture automatique pour Plastic Moonrise. J’ai commencé par enregistrer mes rêves sur un dictaphone, puis j’ai ajouté des percussions, ensuite des synthés et j’ai commencé à utiliser Voice Jam, une application sur ipad qui fait des boucles, et par dessus laquelle je rajoute des couches de sons. La facilité à mettre en ligne de la musique sur Soundcloud m’a poussée à continuer à sortir ces morceaux et à les faire connaître. Ma formation musicale est très basique et cela se ressent sur la façon dont sonnent mes morceaux. J’utilise un Yamaha VSS-200 , qui a un petit micro pour échantillonner ma voix, ou d’autres sons provenant de disques.

Ces schèmes diaprés évoque les pièces radiophoniques hypnagogiques et sublimes de Delia Derbyshire et Barry Bermange, Invention for radio n°1 : The Dreams, de 1964. C’est la même force psychanalytique qui est à l’oeuvre ici , et tout n’est qu’affaire d’interprétation de rêves étranges et brumeux. Des fantasmagories mouvantes et intimes en forme de mantras de l’ordinaire. Un brouillard émotionnel qui inspirera certainement de la même façon Broadcast sur les derniers disques, Mother is the Milky Way ou Broadcast and the Focus Group Investigate Witch Cults Of The Radio Age. Ces impressionnants feuilletés sonores, tout en collages brouillons et foisonnants, de spoken words ésotériques capturés au dictaphone, de mélopées ensorcelantes et de constructions psychédéliques sur de drôles d’instruments d’alchimistes, n’ont pu surgir que des mêmes limbes vibrantes de la mémoire.

Catherine vient de Birmingham, et vit maintenant à Malvern, dans le Worcestershire, où elle occupe un appartement dans un ancien hôtel de cure thermal encore plus beau que le Grand Budapest Hotel. Lieu propice à la rêverie, aux élucubrations de la pensée, qui lui a d’ailleurs inspiré un de ses tous nouveaux morceaux, à paraître sur une prochaine cassette, Ancient Residents of The Water Cure Hotel .  Pour rédiger le livret accompagnant cette cassette, elle a emprunté la machine à écrire antédiluvienne de sa voisine Ann, âgée de 95 ans, et elle a elle-même copié les cassettes une par une. « Je veux continuer à sortir des disques à tirage limité comme celui-ci pour Trish et parce que j’aime trouver des formes dans les nuages, voir quelque chose qui concrètement n’existe pas. Cette citation de e.e. cummings décrit exactement ce à quoi j’aspire : « Le symbole de tout l’art est le prisme. Qui consiste à détruire. À percer la lumière blanche du réalisme objectif pour révéler les beautés secrètes qu’il contient » J’ai envoyé cette citation à James Cargill après le décès de Trish, c’est une phrase très importante parce que Trish avait ce don, cette volonté et cette force qui consistait à décomposer cette lumière blanche et je vais continuer à essayer de recréer de la couleur simplement parce que ce processus me plaît vraiment.»

Elle envisage de proposer de la même façon toute une série de mini-albums sur cassette, agrémentés de fanzines fait-main. « J’avais enregistré deux morceaux plus longs pour la face B, précise Catherine, mais j’ai fini par enregistrer des nouveaux morceaux parce que je préférais leur poésie. » Les poèmes sont la part essentielle de ses morceaux, leur mise en son et en musique permet de leur faire prendre une existence, une épaisseur, nouvelle, bien différente de la seule lecture. C’est de par cette juxtaposition avec un environnement sonore caressant, singulier, ludique que naît cette dimension éthérée et pastorale, nimbée d’un halo parhélique enchanteur. Catherine récite aussi parfois simplement ses poèmes, sans accompagnement musical, a cappella, et sa seule voix, très jolie, suffit à nous bercer. « Je pourrais comparer ma cassette aux livres audio pour enfants, notamment l’histoire des 101 dalmatiens. Quand j’étais petite j’étais toujours dans un coin avec mon walkman et les énormes écouteurs bleus de mon père, je répétais à voix haute ce que j’entendais. Adolescente, j’ai continué à lire les paroles des livres quand j’écoutais mes albums préférés – je me suis rendue compte à quel point l’écriture, la narration, la poésie étaient importantes à mes yeux, parce que je crois qu’il est important d’insister sur le fait que je ne suis pas musicienne, j’expérimente – E pour Experimental ! »

Si le résultat n’a peut-être pas encore la bigarrure exponentielle du travail de ses mentors, les sons, les mots et la voix de Plastic Moonrise ont une réelle et très belle force d’envoûtement magnétique. Ici le terme d’hantologie cher à Simon Reynolds et dérivé de Derrida, prend tout son sens. Sur cette cassette, le son bafouille, semble être altéré par quelques interférences mystérieuses. Nous avons vraiment le sentiment d’entendre une bande récupérée dans l’au-delà, une musique produite par quelque esprit poétique coctaldientel un Cégeste ou Heurtebise au féminin, et avec cet accent mazette… delicious !

http://plasticmoonrise.bandcamp.com/