Dissipons d’emblée la fumée qui pourrait encore obscurcir les vertus miraculeuses de ce quatrième album de Plaid : il s’agit bel et bien d’une réussite totale. Un grand disque de musique électronique, un chef-d’œuvre de musique tout court. Ca pourrait devenir énervant de continuer à encenser les artistes qui ont bâti l’identité de Warp, label ultra-influent s’il en est, mais le fait est là : tout en continuant à creuser leur singularité respective, Autechre, Richard D. James et donc Plaid semblent à chaque fois redéfinir les donnes du jeu électronique. C’est d’autant plus flagrant avec ce nouvel opus d’Andy Turner et Ed Handley, qui contrecarre d’emblée les critiques qui fusent encore autour du dernier Autechre, chef-d’œuvre ultra-hermétique. Ce qui frappe immédiatement à l’écoute de Double-figure, c’est l’impression d’évidence lumineuse, de plaisir direct, le sentiment de voir à quel point les formules de composition et de décomposition du duo ont atteint une jouissive maturité. Tout coule et s’imbrique parfaitement, alors que paradoxalement Plaid ne s’était jamais autorisé autant d’excentricités rythmiques ou sonores. Après l’incartade Rest proof clockwork, pour lequel Handley et Turner s’étaient évertués à échafauder des structures plus traditionnelles, on revient donc à l’expérimentation ludique, aux lignes claires mais de traverses, aux introspections mentales. Or jamais expérimentations et défis techniques n’avaient semblé aussi pertinents et maîtrisés.

Tout commence avec des arpèges de guitare : Eyen est une merveilleuse pop song médiévale, aux harmonies typiquement plaidiennes. Puis le breakbeat s’endurcit, l’insidieuse bass-line révèle sa matière acid(e) et la pop song devient majestueuse envolée électronique. Pas une seconde de répit, et la machine Squance est en marche : dance-track martiale de haute-volée, sa mélodie vrille l’esprit et ne disparaît plus jamais. Ceux qui étaient au Trabendo en septembre se le rappellent encore… Assault on precinct zero (clin d’œil au premier film de John Carpenter ?) emprunte une bonne idée à Dat Politics (scratches digitaux en stéréo rythmique) pour ensuite révéler l’éclat d’une mélodie qui se complexifie au fur et à mesure que le morceau avance, nous rappelant ce petit fait tout simple : Plaid est définitivement supérieur mélodiquement à tous ses pairs électroniciens. Loin de se limiter à de petites ritournelles tonales, le duo emprunte à Debussy, à Satie (écouter les Danses de Traviole et admirer l’effet saisissant de déjà entendu), à Morricone. Zammami, plus posé, cite avec émotion le Japan de David Sylvian. Puis vient le moment de bravoure Silversum, qui taquine les exercices polyrytmiques de Phoenicia et les ambiances éthérées de Monolake pour une somme ébouriffante de technicité romantique. Ooh be do continue sur la lancée introspective, sombre et subtile, avant qu’une mélodie typique vienne nous mettre à genoux. On a du mal à se relever avec Light rain, qui commence sur un tapis de craquements glougloutants avant de s’envoler vers des sommets glacés réminiscents du Keynell de Gescom jusque dans les voix désarticulées informatiquement. Avec le premier Tak, interludes qui rythment toute la deuxième moitié de l’album, on pénètre dans un nouveau territoire, plus clément. New family est une electropop song absolue, et ressemble fort à la formule alchimique après laquelle Turner et Handley courent depuis le tout début. Zala fait ce qu’elle peut pour suivre ce sommet avec une electro ravageuse doublée d’une mélodie cartoonesque. Twin home convoque des rythmes tellement volatiles qu’ils semblent ne jamais se poser, Sincetta est un vrai slow, tragique comme une bande-son de Vangelis ou Il était une fois en Amérique. Mais Plaid paie son dû avec tellement de talent qu’il sublime toutes ses influences… Porn coconut Co accélère la tension déjà fébrile avec une dernière bombe electro-global bourrée d’épiphanies soniques et rend hommage à sa période pré-Not for threes résumée dans le brillant Trainer. Ou la rencontre entre Afrika Bambatta et un orchestre de steel-drums à l’intérieur d’un laptop… Ti bom est un ultime sursaut acid-jazz (si, si) avec Tim Hutton au saxophone, et Manyme une ultime ritournelle chantée, volontairement passéiste, hommage aux divas Björk, Nicolette ou Goldfrapp qui apportaient le peu de grâce qui manquait encore aux deux Anglais il y a encore quelques années de ça. Signe révélateur : ce morceau, le plus faible du disque, démontre à quel point Plaid peut aujourd’hui se passer d’une voix pour faire exister la sienne.

Double-figure nous emmène avec ses deux créateurs dans un nirvana électronique. Dans un monde idéal, l’opus devrait faire un plus beau carton que le dernier Radiohead, Amnesiac. On peut toujours rêver…