Sous une pochette multicolore bien vue, qu’un regard distrait confondra peut-être avec les élégantes jaquettes Blue Note des sixties, un trio vibraphone-contrebasse-batterie qui, s’il connaît pour l’heure les épuisants délices de l’autoproduction, ne devrait pas -on le lui souhaite en tous cas- tarder à croiser la route d’un label qui lui faciliterait la tâche. La musique que l’on entend là, elle, n’a effectivement rien du divertissement dominical : Philippe Boittin et ses deux partenaires Simon Mary (contrebasse) et Loïc Roignant (batterie), rejoints à l’occasion par les cuivres farceurs du label Yolk Geoffroy Tamisier (trompette) et Jean-Louis Pommier (trombone), créent un univers escarpé à l’architecture abstraite, que sa légèreté ne prive en rien de profondeur. On ne peut bien sûr s’empêcher de penser aux grandes références de l’instrument, Gary Burton en tête (une évidente propension à installer et exploiter des climats envoûtants et étranges) ; si Karl Berger (pour ce son volontiers percussif, au vibrato particulièrement fin) et Walt Dickerson (le rejet des tentations virtuoses et l’exploration des particularités de l’instrument) viennent également à l’esprit, Philippe Boittin possède sans aucun doute une personnalité musicale qui l’éloigne des étiquettes pré-écrites et des filiations trop rapides.

Fort à l’aise également lorsqu’il troque ses plaquettes métalliques pour un marimba étouffé et sec, il trouve en Tamisier et Pommier les compagnons idéaux d’une route sinueuse, à cheval entre binaire et ternaire, abstraction et sensualité, jeu et émotion. Un disque mosaïque, qu’on aurait certes peut-être aimé moins rigide ; ne manque sans doute qu’un peu de grain, ou l’impression d’une rugosité accrue, quand bien même le retrait et l’ironie dont semblent se jouer le leader et ses acolytes ne manque pas de charme. Deux mailloches à retenir en tous cas, en les ajoutant à celles, hexagonales elles aussi quoique fort différentes, d’un Frank Tortiller ou d’un David Patrois.