Il y a cette fameuse légende sur les rock critics : ce seraient des musiciens ratés, relégués à la fonction de simples commentateurs, plus ou moins éclairés, puisque s’étant révélés incapables de produire quoique ce soit de conséquent, musicalement parlant. Les adorateurs de Lester Bangs qui ont pu jeter une oreille sur ses tentatives discographiques vous confirmeront que, bien que capables ici ou là de vous tirer un sourire de bienveillance amusée, les quelques chansons qu’il nous a léguée sont loin d’atteindre « la voix de ses Maîtres », les Iggy Pop ou Lou Reed qui sont également ceux de notre Patrick national. Alors quoi ? Une malédiction à la Toutankhamon ? Une loi universelle ? On ne sait. Si Eudeline a su graver deux ou trois titres franchement d’anthologie (Polly magoo en tête) avec son groupe punk, Asphalt Jungle, à la fin des années 70, il n’a depuis produit qu’un album, en 95, où il donnait dans le cabaret gothique néo-réaliste, sur un canevas musical plutôt cheap malgré deux ou trois coups d’éclat. Maigre bilan, somme toute, pour un Monsieur passé Maître de la moulinette à théoriser sur la chanson ultime, les guitares « vintage » et autres maniaqueries.

On lui laissait le bénéfice du doute : notre papy punk devait alors peu maîtriser les techniques du home-studio et puis, entre temps, on a démocratisé la possibilité de faire des symphonies de poche assez crédibles. S’agit juste de se pencher un brin sur la question et on peut se prendre pour un Brian Wilson numérique. 2006, l’ami de Daniel Darc se dit qu’il est temps d’y aller de son album puisque son compère s’est fendu d’un Crève coeur qui l’a tiré du néant où il croupissait, lui aussi, depuis une décade. Un Daniel Darc que l’on retrouve d’ailleurs le temps d’un duo (Comme disait l’ami Johnny Rotten) où les deux larrons se renvoient la balle sur une ballade aux accents néo-sixties plutôt aigre-douce : « L’amour c’est juste une idée pour vendre des calendriers », concluent-ils ! L’album est garni de quelques titres du même acabit, souvent clin d’oeil (un peu du Its a man’s world de James Brown dans « Comme disait l’ami Johnny Rotten », beaucoup du « Requiem pour un fou » de l’autre Johnny, le Halliday, dans La houle), parfois assez poignantes (le biographique Mauvaise étoile) ou hilarantes (le blues de la cure de désintox’, sur Montevideo). Pourtant le disque ne tient pas toute ses promesses en terme de niveau d’écriture (certains titres sont diablement faibles, comme ce Let’s drink bavarois complètement à côté de la plaque) ou de renouvellement. En effet, même avec 10 années de pause, il trouve le moyen de récupérer un titre de son précédent album, le très bon Sunday marine, ou de placer deux reprises, dont une version crincrin de Un Jour mon prince viendra. En admettant que, comme l’auteur de ces lignes vous soyez sensible au « chanter faux » d’Eudeline, il est fort possible, cependant, que vous fassiez la fine bouche sur ces programmations Pro-tools plus qu’archaïques donnant un arrière-goût de balloche ou de mauvais goût « années 80 » au terme de l’album. Et on vous comprendra. Allez, Patrick, on reprend le clavier… mais on oublie les softs musicaux pour se concentrer sur Word !