Nul n’était mieux à même, sans doute, de consacrer un album entier, en solo, à une percussion qui a fait sa place dans tous les contextes musicaux, que Pablo Cueco, lui même musicien migrateur. Il aura compensé le fait de s’être plus ou moins cantonné à cet instrument par son ouverture à tous les genres, puisqu’il se produit aussi bien dans le champ du jazz contemporain (Denis Colin et les Arpenteurs, Didier Petit, Sylvain Kassap, Patricio Villaroel…) que dans celui des « musiques du monde » (Chaurasia, Mirtha Pozzi…) et de la musique contemporaine (Cage, Globokar, Ferrari, Aperghis…), liste non limitative. Le zarb, « tambour-gobelet en bois unimembranophone à excitation digitale d’origine perse » dit le livret, présente une variété de sons telle qu’il couvre une large tessiture comme vaste spectre de timbres. Des aigus des plus clairs -« ti »- aux graves sourds « boom », qu’il soit frappé de l’ongle sur le bois, d’un coup sec -« tek »-, ou que le plat de la main assourdisse la peau -« flap » ?-, c’est un arc-en-ciel sonore qui s’élève de ce simple fût, accompagné d’une grêle ou d’un tonnerre, selon comme on s’y prend. Et Pablo Cueco s’y entend justement à varier frappes et phrasés, à inclure les rythmes les uns dans les autres comme des poupées gigognes pour dessiner un paysage varié dont le rythme n’est qu’une composante.

Emancipé des langages traditionnels mais pas au point de les perdre de vue, il donne en quinze improvisations l’étendue du savoir qui l’a rendu indispensable à tant d’aventures musicales : combinant roulements et silences, pointillisme et envolées, il déroule un labyrinthe où il serait tout ensemble Thésée, le Minotaure… et le fil d’Ariane, car jamais on ne lui reprochera de sacrifier à ses arabesques la clarté du propos. Au passage pourtant, un rythme khmer ou de candombe uruguayen sert de tremplin à des fantaisie parfois rêveuses, à moins qu’une structure traditionnelle kurde à 10/8 se voie transfigurée, criblée de coups peu usités. Le charme heureusement opère pour des oreilles non prévenues. Nul n’est besoin d’être initié aux arcanes rythmiques des traditions du monde entier pour goûter à la poésie qui se dégage d’une pareille approche. Libre d’aller et venir comme lui sur les chemins multiples qu’il fraie dans la jungle des temps forts et faibles, l’oreille guette et débusque à chaque instant de nouvelles pistes. Prise au jeu des variations géométriques dans lesquelles les rythmes découpent des formes et la frappe distribue les couleurs, elle est bientôt ravie de ces mosaïques qui ramènent à la fin, d’une façon toute métaphorique, à l’origine de l’instrument. Zarb ! est pourtant plus que cela. L’humour de Pablo Cueco lui donne sa touche finale dans une « présentation » de l’instrument qui fait figure de sketch : il ne sert à rien d’en donner un aperçu, il faut l’entendre. Entre Alphonse Allais, Raymond Devos, et Gerald Moore : « Zarbi, vous avez dit zarb ? »

Pablo Cueco (zarb). Enregistré au Studio La muse en circuit, sauf Zarb présentation enregistré au Festival Sons d’Hiver