Si vous avez fait un tour récemment au rayon musique classique chez votre disquaire préféré, vous avez certainement remarqué qu’il n’y avait pas grand-chose d’exaltant dans les bacs ; vous aviez le choix entre André Rieux et Helmut Lotti, des collections aux noms plus débiles les uns que les autres (genre les Absolus pour les rééditions, et pour les jeunes interprètes Génération 2001 chez Sony, qui y intègre Yo-Yo Ma alors qu’il fait une carrière mondiale depuis 20 ans), du Karajan à gogo… et des premiers enregistrements mondiaux. Il faut dire que les producteurs ne savent plus trop quoi faire pour relancer les ventes du classique, catalogué musique peu rentable. En effet, les mélomanes ont déjà reconstitué pour la plupart leur discothèque (s’ils l’ont fait, car il reste la race des « vinilystes ») ; il est donc difficile de leur proposer du nouveau. Alors, évidemment, il y a les nouvelles versions qui se placent à côté des anciennes (mais qui cela intéresse vraiment d’avoir trois fois la Cinquième de Beethoven), la musique contemporaine et donc les premières mondiales (qui sont parfois des œuvres insignifiantes de compositeurs inconnus, mais qu’une quelconque exigence musicologique et historique veut nous faire entendre alors que cela n’a le plus souvent rien à voir avec l’art).

Ce disque appartient à la catégorie « premier enregistrement mondial ». Tout d’abord, reconnaissons que Roland de Lassus (1532-1594) ne dit en général pas grand-chose à l’acheteur, et même le mélomane averti ne comprend pas bien de quoi il s’agit, étant donné qu’il possède déjà le « célèbre » enregistrement de Philippe Herreweghe des Lamentations de Jérémie (Harmonia Mundi 901299) ! Le texte de présentation est là pour nous éclairer : il s’agit de la version à 4 voix parue en 1992 (sic) et non de la version à 5 voix publiée en 1585. Celle-ci est plus intime et très représentative de l’esprit dans lequel se trouvait Lassus à la fin de sa vie : la dépression (dite « mélancolie » à l’époque). Autant dire qu’il ne vaut mieux pas écouter cette musique si vous êtes dans le même état que Lassus à partir de 1575.

Ne me faites pas dire ce que je n’ai pas écrit : Lassus est l’un des plus grands compositeurs du 16e et écouter ses œuvres met dans un état bien plus planant et enivrant que beaucoup de drogues, souvent illicites rappelons-le. Son art est parfait (ars perfecta), bien loin des méthodes de certains maniéristes. Si on le compare au peintre Raphaël, ce n’est pas pour rien.

De plus, la qualité interprétative de ce disque est tout à fait recommandable. Le jeune Ensemble Vocal Orlando interprète ces œuvres avec beaucoup de talent : le contrepoint est très bien interprété, ménageant un équilibre d’une rare justesse, les jeux de couleurs sont réussis, le texte est servi au mieux, respectant toutes les inflexions mélodiques. En définitive vous l’aurez compris, tout cela est très beau mais ce n’est pas véritablement essentiel.