Cette rentrée musicale est une fête pour les amoureux de l’œuvre d’Olivier Messiaen. Avec le concert inaugural de l’orchestre de Paris (la Turangalîla symphonie à Pleyel) ce triple album est une aubaine. Roger Muraro nous avait offert l’an passé sa version (définitive ?) des Vingt regards sur l’Enfant Jésus. Il récidive aujourd’hui faisant paraître l’autre chef-d’œuvre du piano de Messiaen, le Catalogue d’oiseaux. Autre chef-d’œuvre, autre marathon. Près de trois heures de musique dans laquelle il se jette avec ferveur. Sa mémoire colossale lui avait permis de jouer ce cycle au grand complet en une seule soirée l’hiver dernier à Radio France. Un défi mené à bien pour cet athlète du piano qui, outre sa mémoire, dispose de qualités techniques rares.

Le label Accord (Universal) a la bonne idée, après la publication de ce même cycle par Pierre Laurent Aimard, de sortir en CD ce concert public.
Partitions en main, on est stupéfait de voir que rien ne manque dans cette interprétation publique : formules rythmiques, respect des tempos, phrasés… jusqu’au traitement orchestral, au sens de la couleur -essentiel selon les théories de Messiaen- et la fluidité. Muraro évite les pièges d’une articulation trop pointilliste (le Loriot, le merle bleu…) ; il approfondit sans cesse les champs sonores par un jeu intime sur les résonances (la Chouette hulotte), n’écrase jamais le piano (le traquet rieur). On se lève vers cinq heures du matin, se cache dans un bosquet à l’affût du merle des roches, du loriot « bel oiseau jaune d’or aux ailes noires, qui siffle dans les chênes. Son chant coulé, doré, comme un rire de prince étranger, évoque l’Afrique et l’Asie, ou quelque planète inconnue, remplie de lumière et d’arcs-en-ciel… » (Messiaen).

Au cœur du cycle on écoutera « La Rousserolle effarvatte », fresque d’une demi-heure (constituant le quatrième livre du cycle). L’interprétation de Muraro réconcilie deux points symétriques chez Messiaen : la tendresse et la puissance. Cette grande forme musicale -un « mouvement courbe »- est inspirée par les oiseaux des marais. Le piano devient « solo de xylophone, bouchon qui pince, pizz de cordes… glissandos de harpe… couleurs rose, orangé, mauve… coassement sec et flasque d’une grenouille… râle d’eau, cris effroyables d’un pourceau qu’on égorge… » (Messiaen). Une pièce centrale dont les dimensions -rares au XXe siècle- évoquent les grandes sonates du répertoire.

Comment Messiaen a-t-il pu, à partir de petites cellules (des chants réels d’oiseaux notés au gré de ses promenades) construire de telles fresques ? Comment Roger Muraro, à peine quarante ans, peut-il reconstruire ce monument avec un tel souffle ? L’un et l’autre parlent de foi. On pourra donc préférer cette version à celle assez glaciale de Pierre Laurent Aimard, l’autre disciple d’Yvonne Loriod, pianiste, créatrice et dédicataire du cycle. Aimard, tout aussi admirable, va jusqu’à la cruauté par son approche de la transparence, son esthétique toute française, et flirte avec la rigidité. Muraro lui nous embarque dans ce cycle énorme, comme s’il n’était que gerbes d’improvisation.