On a parfois un peu de mal à se repérer dans la masse de groupes qui arrivent en flux tendu d’Australie, tous passionnants, et qui manifestent un certain penchant pour l’endogamie : side-projects de side-projects, all-star bands de types inconnus, il ne se passe pas une semaine sans qu’on tombe sur un machin sorti du Bush, monté de toutes pièces avec des morceaux d’autres formations, qui nous mette peu ou prou à genoux. Une méthode qui a fait ses preuves consiste à envisager ce territoire sauvage comme un ensemble de scènes locales juxtaposées, et à rattacher des groupes à une ville (en général Melbourne ou Brisbane). Aujourd’hui, Adélaïde, cité populeuse de la côte sud, dont Old Mate fédère un certain nombre d’acteurs : Pat Telfer, son fondateur, est membre de Bitch Prefect, groupe gentillet de jangle pop qui a essaimé dans Peak Twins et Wireheads, tout ce beau monde collaborant sur It Is What It Is, premier album de cette formation d’une dizaine de musiciens qui paraît sur l’excellent (mais un peu rare) label français SDZ Records (Cheveu, Plastobéton, Limiňanas…).

Il faut toutefois prendre un peu de hauteur pour appréhender la musique de Old Mate, qui s’éloigne du son d’Adelaïde comme de certains de ses compatriotes (Twerks, Dick Diver), et sort des sentiers balisés de cette jangle pop qui compte ici des ancêtres plus glorieux qu’ailleurs (The Church, The Go-Betweens). Old Mate est bien décidé à ne pas se résumer à un genre, et présente un album dont aucun des huit titres ne ressemble à un autre : c’est un album à tiroirs, à chausse-trappes, mais qui contrairement à d’autres fourre-tout plutôt réussis (le premier Total Control) ou ratés (le second Total Control) trouve une cohérence dans le ton, une manière de se répéter dans la variation qui tient essentiellement à l’immense mélancolie de l’ensemble, la tristesse inconsolable de celui que les gens et les choses ont irrémédiablement déçu.

It Is What It Is, donc, « c’est ce que c’est » et pas autre chose : constat tragique du fait que le réel est le réel, sans arrière-monde. Sur la monotonie d’un univers indifférent (figuré par les structures répétitives des morceaux), il s’agit de broder des motifs inédits, fragiles, comme des châteaux de sable finement ciselés que la prochaine vague de déceptions aplatira, mais qui reflètent autant d’humeurs passagères, autant de variations sur le spleen. C’est bien la mélancolie la plus tenace qui donne sa teinte à ce disque d’« atmosphère », du blues chamanique au milieu des crotales de « Medicine Man » au post-punk fatigué de « Truth Boy », en passant par la sublime ballade « February » (voix de cronner à la Lee Hazlewood, mal maitrisée, presque fausse, comme Beat Happening à l’époque de « Dreamy ») à « Stressin » et son clip lynchien, faux dance-rock au groove toujours parasité par une forme d’engourdissement, de langueur abattue. Si vous cherchiez un Vieux Pote pour pleurer sur son épaule, Old Mate est là.