L’année dernière, on avait salué Skeletal lamping, comme un « achèvement » (aboutissement, épuisement) de la forme pop, concentrant, condensant, synthétisant la fragmentation propre au genre (en poupées russes gigognes, où chaque chanson en contenait une douzaine d’autres) et la multiplicité d’affects qu’il produit dans le cœur solitaire (en montagnes russes vertigineuses, de l’introspection la plus douloureuse aux extases les plus transcendantes, en quelques secondes). C’était très beau, et on se demandait ce que Kevin Barnes, muti-instrumentiste génial, à fleur de peau (dépressif et / ou euphorique), à vif (maso) et souvent à poil (exhibo), pouvait faire après ce sommet (et sa descente).

Son dixième album, False priest, est un tournant dans la carrière du petit Prince (« Je suis tombé amoureux de Prince quand j’étais adolescent et je n’ai jamais cessé d’écouter ses albums. A travers lui, je suis aussi tombé sous le charme de ses influences comme P-Funk, Curtis Mayfield, Sly and The Family Stone, Joni Mitchell… Mes pères spirituels musicaux sont Prince, David Bowie, The Beatles, Brian Wilson et George Clinton »), puisque Barnes a enfin décidé de sortir la tête de son laptop pour aller en studio, et déléguer un peu l’instrumentation, avec un vrai producteur, Jon Brion (pour Kanye West, Sean Lennon ou Evan Dando, mais aussi compositeur pour les BOF de Paul Thomas Anderson). « Jon est probablement le seul producteur avec lequel je pourrais travailler. Il m’a appris tellement de choses sur l’arrangement et le mixage, et l’importance de connecter le corps à la musique. Il m’a aussi appris l’importance de se faire confiance : si tu sens bien quelque chose, alors peu importe que cela sonne de manière bizarre à d’autres, il ne faut pas en douter, il faut le faire et avoir confiance. Il est un saint dans mon livre ».

Quelques vocalises R&B font ainsi glisser son répertoire du glam baroque et la pop alambique vers un funk radicalement chic et freak, sur un album moins partouzeur que son prédécesseur (moins de mille-feuilles, plus de couplets et de refrains), mais bien plus chaleureux et sensuel (moins de MIDI, plus d’instruments). Ainsi assagi, plus linéaire, moins « schizophrène », moins « psychédélique », mais pas moins « décadent » (en bref : musique de drogués), ce False priest s’essaie ici au groove, un peu lourdement parfois, mais en une sorte d’humanisme physique, de contact, qui se fait déclaration politique sur le morceau final, You do mutilate (« If you think God is more important than your neighbor, you’re capable of terrible evil / If you think some prophet’s words are more important than your brother and your sister, you’re ill and you’re wrong ») que commente Kevin Barnes : « J’ai un sentiment très ambivalent à propos de Dieu et de la religion. J’adorerais être connecté à « notre créateur », mais j’imagine que je n’ai pas encore eu mon satori. J’ai le sentiment que l’humanisme séculaire est le système de croyance le plus positif et bénéfique, et que c’est ce système que le genre humain devrait adopter. S’il y avait un dieu, je suis certain qu’on se sentirait mieux, qu’on veillerait les uns sur les autres, qu’on s’entre-aiderait au lieu de se faire sauter les uns les autres en son nom. La question qu’il y ait un dieu ou non n’est pas pertinente puisque tant qu’il n’a pas montré son visage, on assume qu’il n’existe pas et on fait simplement ce qu’on a envie de faire pour nous-mêmes. Comme le chantait Billie Holliday : « God bless the child that’s got it’s own… » ».