Dernière signature du très confidentiel label électronique Evenement, Noak Katoi est le projet d’une multi-instrumentiste qui, un peu par hasard, a fini par croiser un ordinateur sur son chemin. Noak Katoi n’est pas une acharnée du Powerbook : « Le laptop n’est pas une fin en soi… C’est un moyen. C’est aussi très bien pour travailler des textures, rajouter des effets, bref, des trucs de production ». D’où une musique où la virtuosité a été rangée au placard, au profit d’idées simples mais exigeantes. D’où encore la présence significative sur son premier album, Les Perversions du merveilleux, d’un morceau enregistré sur un 4-pistes au milieu de « laptoperies ».

Insaisissable, Noak Katoi l’est lors de ses live : elle peut tout autant se produire en solo sur un piano à queue, comme elle peut jouer du laptop au sein de Concertmate (en compagnie du platiniste My Jazzy Child et du claviériste Relpot). Insaisissable, Noak Katoi l’est encore sur cet album qui fait figure de recueil hétéroclite de compositions où défilent pêle-mêle drone, microdub, conte pour enfants, love song, remix de hip-hop… Car Les Perversions du merveilleux est une auberge espagnole où étiquettes, genres et écoles perdent toute signification : Riley, Timbaland, Pole, Jay-Z se croisent sur des titres empruntés à l’égyptologie (La Chute de Thônis, Le Naos du temple d’Amon-Gereb), l’elficologie (Aérienne des rêves infinis), les esprits frappeurs de la mythologie anglaise (Clap cans & boogie beasts). Bref, à un monde renvoyant à l’idée de merveilleux, idée que le matérialisme contemporain aurait pervertie.

Faute de trouver d’autres mots, « merveilleux » est le terme qui vient à l’esprit pour décrire l’état dans lequel nous plonge Le Naos…, un long drone qui évoque certaines pièces de Pauline Oliveiros ou Phil Niblock. Chatoyant, il nous caresse de ses mille nuances de timbres. Profond et ondulant, il nous enveloppe dans une texture sonore dense et chaleureuse. Hypnotique, il se déroule tel un rouleau autour de motifs itératifs, de notes obsessives. Plus introspectif et sombre, Uranoscopus (dont Erich Zahn livre une réinterprétation personnelle en fin d’album) se fait quant à lui l’écho de la musique de Jan Jelinek, avec ses basses percussives et sourdes. Changement d’humeur sur le délirant Dr. Melon dont les hoquets de sons cosmiques rappellent la fantaisie de Trampoline de Nobukazu Takemura (sur Hoshi no koe). Et c’est encore une histoire (moins convaincante) de hoquets que nous raconte U just like u, déconstruction en règle du morceau original de Jay-Z.

Mais Les Perversions du merveilleux ne serait pas ce bijou inattendu si n’y figurait pas Aérienne des rêves infinis. Cette déclaration d’amour, en forme d’étrange love song, simple et touchante, marie drone, piano et harmonies de voix samplées, comme un gospel à la quiétude irradiante. « Aérienne…est différent des autres morceaux parce qu’il a justement été fait sur 4-pistes, donc avec plus d’immédiateté que les autres, [ce qui] est en totale adéquation avec l’expression d’un sentiment immédiat et spontané ».

« Pour le prochain album, je voudrais revenir à des sons plus acoustiques, de piano, de clarinette, de voix, comme sur Aérienne, des mélodies et des harmonies plus pop ». A moins que Noak Katoi ne décide d’ici là de composer avec un calimba, des carillons et un triangle, ou de monter un groupe de free noise, qui sait ?