Janvier 2002 : Nils Petter Molvaer emmène sa trompette, ses samplers et sa petite troupe sur la scène du Festival de Tampere, en Finlande. Un magnétophone tourne et capte l’intégralité de cette performance électro sombre et envoûtante, nourrie de compositions issues de ses trois albums studio, Khmer, Solid ether et le tout frais NP3. Quelques mois plus tard, il renouvelle l’expérience au Marquée, le fameux club de Leicester Square, à Londres. En compagnie de DJ Strangefruit, il découpera et remontera ensuite les bandes issues de ces enregistrements pour construire Streamer, remarquable galette live dans laquelle sa musique, tout en restant immédiatement identifiable, semble se dilater dans le temps pour se transformer en long voyage noir et glacé dans la nuit électronique. Boucles en cascades (Raymond Pellicier à l’électronique, DJ Strangefruit aux platines -« Vinyl abuse », dit la pochette), batterie (Rune Arnesen) et rugissements torturés d’une guitare électrique omniprésente et impressionnante (l’indispensable Eivind Aarset, grand manitou à six cordes de la vague electro nordique) forment un cocon captivant et dynamique pour la trompette versatile du leader, qui marche volontiers dans les pas de Miles Davis en triturant le son cuivré et tendre de son instrument à travers une batterie de pédales d’effets. Libérée par l’environnement scénique et sans doute moins corsetée que dans les albums studio, la musique de Molvaer s’engouffre volontiers dans les brèches ouvertes par les groupes électriques de son illustre prédécesseur dans les années 1970, le martèlement obsédant des loops en plus. Le grain très particulier du son recueilli en concert et les innovations apportées à la structure des morceaux évitent l’écueil de la redondance : Streamer donne plus que la simple version live des morceaux que l’on connaît déjà et, sans apporter de révolution tangible dans l’univers du trompettiste norvégien, s’impose comme une œuvre en soi dans l’un des parcours les plus convaincants de la très prolixe scène electro-jazz qui vient du froid. La beauté mélancolique Kakonita, ballade triste et décharnée sur une poignée d’accords obsédants, vient par ailleurs rappeler, au milieu du feu d’artifice électronique, que Molvaer est aussi un compositeur particulièrement inspiré.