Avec Ballads, déjà, le plus secoué des jazzmen scandinaves avait su se montrer aussi convaincant sur des tempos lents que sur les plans funks endiablés grâce auxquels son Unit hypnotise depuis plusieurs années les foules des quatre coins de la planète. Né en 1956, ce déconcertant suédois apprit à cogner sur une batterie avant de se tourner vers le trombone et d’entamer des études musicales qui le mèneront à Stockholm, au rock et, finalement, au pupitre des cuivres du big band de Thad Jones. Planet rock, en 1985, inaugurera la première mouture du Unit (formée deux ans plus tôt) et une fructueuse carrière solo qu’il mène de front avec une activité de comédien, chanteur et danseur dans une pièce de théâtre à succès. On retrouvera le tromboniste aux côtés de tout ce que comptent de talents actuels le jazz scandinave (Bobo Stenson, Palle Danielson ou, plus récemment, une remarquable collaboration avec le pianiste européen le plus créatif du moment, Esbjorn Svensson, dans Layers of light) et mondial (on l’a entendu avec Herbie Hancock, Keith Tippets, Marcus Miller ou encore, cela ne s’invente pas, le groupe pop ABBA…).

Sentimental journey propose donc une deuxième halte dans le parcours funky qui l’a érigé en pape nordique d’un style dont les dieux, tout droit issus de la fameuse section de cuivres de James Brown s’appellent Maceo Parker et Pee Wee Ellis : pas de guitare wah-wah ni de rythmiques survoltées ici, mais un répertoire de ballades fameuses (In a sentimental mood, My foolish heart…) ou non (quelques splendides mélodies signées Nash & Weill, G. Sumner ou Leon Russel) interprétées avec une admirable sobriété et, disons le tout net, une conviction profondément émouvante. A la tête d’un quartet tout en retrait et nuances (Anders Widmark au piano, Lars Danielsson à la basse, Wolfgang Haffner à la batterie) et d’un quatuor à cordes (le Fleshquartet) habilement employé, le suédois fait de ces treize partitions autant de pépites face auxquelles, tout réticent qu’on puisse être durant les premières mesures, on ne peut décidément que se laisser aller. Beauté des arrangements, remarquable travail sur le son d’ensemble (la production est irréprochable) et, surtout, voile légèrement efféminé d’une voix douce et fascinante (on pense par moments à Chet Baker) font de ce recueil une petite merveille de sincérité et d’émotion dont la générosité emportera l’adhésion des plus sceptiques. Rigmor Gustafsson et la splendide Viktoria Tolstoy viennent épauler le chanteur sans plus d’esbroufe que lui, l’ami Svensson s’assied ici et là au Fender Rhodes : cerises sur un gâteau dont on n’a pas fini d’apprécier les authentiques délices et que Landgren s’offre le luxe de conclure avec un I will survive incongru mais, à l’image du reste, tout à fait splendide.