Héroïnes, le nouvel opus de Nathalie Dessay, est l’un des disques les plus médiatisés du moment. La soprano fait depuis l’automne la couverture des magazines, se retrouve en format « trente secondes » sur toutes les chaînes télé. En attendant quelques révélations sulfureuses dans des émissions people… ?

On peut certes se réjouir -ou pas- de sa plastique impeccable. A moins d’avoir en mémoire tous ces coups marketing de l’industrie discographique, cachant de lamentables « produits » derrière des pochettes pastel.
Aussi, approchons l’affaire avec une certaine méfiance…
Il ne faut pas trois minutes pour comprendre que se cache un authentique objet artistique derrière la façade glamour. Héroïnes n’est pas l’accumulation des airs les plus célèbres de Mozart mis bout à bout afin d’offrir un « digest » tout public.

Les ambitions dramatiques de cet album sont à la mesure de celles de la Flûte enchantée (il s’ouvre et se ferme sur les deux airs célèbres de la Reine de la nuit). Dans la Flûte, le drame catalyse, sublime et transforme les personnages : la lumière bannit l’obscurité, l’ordre le chaos. Ainsi en est-il de l’aria de Pamina qui, dans ce CD, suit Der Hölle Rache, le second air de la Reine de la nuit.

Dessay, en treize épisodes, reprend à son compte cette transformation. En interprétant pour la dernière fois Der Hölle Rache (qui a tant fait pour sa gloire), elle souligne une mutation personnelle comme l’écrit, de son côté, le musicologue John Stone : « Mozart a exploré (dans la Flûte enchantée) les possibilités d’une action fondée davantage sur la voix et jaillissant moins d’un ressort dramatique ». Dessay quitte le rôle de la Reine de la nuit, se tourne vers celui de Pamina comme la Pamina de Mozart, après avoir vaincu les épreuves du feu et de l’eau, terrasse la Reine.

Suivent quelques airs mémorables (dont les bonnes interprétations sont trop rares pour ne pas être saluées). Dessay distille des mélodies virtuoses, habite les silences dans l’aria éblouissant du premier acte de Zaïde (un opéra inachevé préfigurant L’Enlèvement au sérail).
Au coeur du disque, elle donne un long extrait d’Ascanio in Albo, premier succès de Mozart, écrit sur mesure pour le mariage de l’archiduc Ferdinand. Ce feu d’artifice préfigure (par des modulations et des vocalises à vous couper le souffle) ses œuvres futures. Dessay, accompagnée par le discret (mais fondamental) Louis Langrée à la tête de l’orchestre de l’Age des Lumières, démontre, outre ses facilités vocales, qu’elle est comédienne, et que le chant est avant tout un jeu.

Nathalie Dessay (soprano). Orchestre de l’Age des Lumières. Louis Langrée, direction.
Enregistré à Londres (Air Studios) du 26 août 2000 au 1er septembre 2000.