Chaque nouvel enregistrement de Monsieur Brendel est un événement en soi. Cette année, sa nouvelle intégrale des Concertos de Beethoven en compagnie de Rattle (Philips) a été saluée par la critique. Brendel y a fait preuve d’une inventivité peu commune, inventivité qu’il n’avait pas su (pu) mettre en œuvre dans ses précédentes intégrales. Peut-on faire le même raisonnement avec les deux grands concertos en mineur de Mozart ? Pas tout à fait, et ce tout simplement parce que Brendel ne réédite pas la réussite (exploit ?) de ses récents Beethoven. Pourtant, contrairement à sa précédente intégrale réalisée avec Mariner de 1970 à 1984 (déjà chez Philips), Mackerras et son orchestre sont excellents.

Ecoutez ainsi le début du 1er mouvement du 20e Concerto. La rythmique des graves est d’une clarté peu commune (grâce à la prise de son diront les mauvaises langues) tandis que l’oscillation entre fatalité (le ré mineur) et incertitude (rythmes syncopés) est on ne peut mieux réalisée. De même, Brendel, à l’évidence, est à l’aise musicalement. Ces concertos sont proches dans leur forme de ceux de Beethoven : majesté, ampleur du développement, rôle dramatique de l’orchestre… Brendel en exhale parfaitement l’architecture d’ensemble. Par ailleurs, dans le 3e mouvement du 20e, le dialogue entre orchestre et piano est assumé avec la plus grande perfection. Le 2e mouvement du 24e est prodigieux. Les bois, qui y tiennent une importance capitale, sont excellents. Toutes ces remarques suggèrent-elles des réserves ? A priori non, tant l’ensemble est d’une qualité exemplaire et que beaucoup de jeunes pianistes devraient méditer la leçon donnée.

Les critiques portent ici sur deux points en réalité. D’une part, le 2e mouvement du 20e concerto nous semble traîner. Le piano et l’orchestre ne semblent pas fonctionner ensemble. De plus, à l’intérieur même des mouvements vifs (24e surtout), Brendel manque de folie. Reproche courant au pianiste mais les gammes qui parcourent le clavier n’ont pas la vélocité et la virtuosité adéquates. Peut-être Brendel refuse-t-il cet aspect à ces concertos ? D’autres diront qu’il n’a plus les doigts. En tout cas, ces œuvres perdent de fait une partie de leur brillance et de leur éclat. Mais ces critiques faites, il n’en reste pas moins que Brendel se situe à cent coudées au-dessus de bon nombre de pianistes et qu’il y a pas d’enregistrements récents qui puissent rivaliser avec.