Après iQue Viva Mingus ! et les travaux de Charles Mingus par delà le Rio Grande, le Mingus Big Band a choisi pour ce cinquième album un nouveau pan de la musique du contrebassiste -l’un des aspects de son art qui semble le plus susceptible d’aiguiser les lames critiques, tant il est essentiel dans sa personnalité : Blues & politics. Formé en 1991, meilleur big band dans les votes annuels de certains journaux américains, le groupe, qui a vu défiler près de deux cents musiciens dans ses rangs, a contre lui cette ambiguïté qu’il se propose de parcourir l’œuvre du contrebassiste décédé en 1979, sans jamais, cependant, pouvoir approcher et encore moins saisir ce qui frappe dans sa musique : sa « colère », une « fureur musicalement transmissible, une joie rageuse de jouer, [qui] ont fait de tous ses orchestres un centre de déflagration et de composition partagée », une manière de « faire ouvertement parler, crier, la musique, comme on fait parler la poudre » (Francis Marmande).

Avec ce Blues & politics, il est peut-être temps de changer de point de vue et, nonobstant le fait qu’il ne cesse de s’en réclamer, d’écouter le Big Band enfin pour lui-même (avec ses arrangements policés, le champ grillagé dans lequel il s’exprime) et non plus pour ce que Mingus en aurait fait. Huit compositions (dont un hommage au libérateur d’Haïti Toussaint L’Ouverture -Santana fit de même sur Moonflower– et un fameux texte d’un pasteur protestant -les Fables of faubus n’ont pas été retenues) issues des albums Oh yeah, Ah um, The Clown… laissent entendre d’immenses musiciens (quelques-uns se démarquent réellement : Mark Shim et Dave Kikoski, notamment) ; assailli d’idées, le Big Band (dirigé par Alex Foster) réussit à donner des interprétations fort convaincantes et une dimension réelle aux thèmes.

En exergue à l’album, une bande inédite d’un concert donné par le groupe de Charles Mingus au Guthrie Theater de Minneapolis en 1964, dont la narration finale a été superposée par Sue Mingus au Big Band (chirurgie sonore à base de bandes d’outre-tombe qui en rappelle d’autres -Mercury, Lennon, Bennett…- et dont la veuve du musicien s’explique ouvertement : « Grâce à la technologie d’aujourd’hui, nous avons été capable de coudre la voix de Charles afin qu’elle s’imbrique sur la musique sans que cela soit détectable »…). L’ambition de ce disque devrait prendre le pas sur ce snobisme frileux qui prétend que l’on ne retrouve rien de Mingus dans l’orchestre qui porte son nom, histoire de montrer comme l’on connaît Mingus.