Douze chansons égrenées avec tact sur le chapelet du bonheur : avec Una Mujer, Michèle Fernandez, l’espagnole de Marseille, devrait faire une entrée remarquée sur la scène discographique. Une grâce aisée, un timbre agréable à la séduction naturelle soutenu d’une bonne technique : Michèle Fernandez partage cela avec beaucoup de chanteurs. Mais elle offre bien davantage : musicienne d’abord, elle a fait mieux que muser sur tous les chemins. De longues études -saxophone, jazz et classique, musicologie et chant-, une pratique de la composition pour le théâtre, l’ont dotée d’un métier qui lui permet d’exprimer pleinement ses racines tout en biaisant de façon savante avec cette mémoire génétique. De l’aïeule qui s’illustrait sur la scène de l’opéra de Barcelone, elle a conservé la langue ; mais l’espagnol en sa bouche est devenu lisse et suave. Et si la guitare, présente de bout en bout, marque le territoire, c’est de façon subtile : avant tout une couleur, un parfum, essentiels mais discrets lors même que, partout ou presque, pointe l’horizon flamenco.

L’indéniable atout d’Una Mujer réside dans la qualité des arrangements. Sans artifices qui vous tirent par le bout de l’oreille, ils suggèrent une atmosphère, imposent une unité de lieu -la Méditerranée- qui s’épanouit dans la diversité, se plient à chaque chanson en évitant le « concept » avec élégance. Bruno Allary, Nasser Soltani et la chanteuse elle-même partagent un art consommé d’être léger sans faire pauvre : oud et flûte suscitant le désert (Leïla) ; carillon de sanza étoilant le silence où la voix s’élève, esseulée et sensuelle, drapée dans le drap de soie d’une pédale d’accordéon à la finesse arachnéenne (Alegria) ; percussions maigres et bien découplées donnant leur élan à la guitare et à la voix multipliée (La Arena) -trois exemples entre douze. La voix de Michèle Fernandez, sans cesser d’être elle-même trouve les accents du fado (Niño dios), esquisse ici un sourire goguenard (Ando), s’ensauvage ailleurs au détour d’une inflexion (Una Mujer) : sûre d’elle, jamais ne lui est besoin d’appuyer, elle effleure et fait mouche. Sans parler de la version a capella d’Una Matica de ruda, le traditionnel séfarade, qui rejoint dans notre cœur la version sublime du pianiste Ran Blake (The Short life of Barbara Monk, Soul Note), Valsar semble ainsi flotter sur ses trois temps sans toucher terre et un chorus de soprano dit sans le dire qu’elle a fréquenté André Jaume sans effaroucher la guitare murmurante d’Allary. Ce dernier, plutôt enclin à faire moins que trop, lève un paysage d’une note, souffle sur les braises andalouses avec noblesse et distinction (Trabajar) ; tout l’album est au diapason de sa justesse admirable, précis, aéré, lumineux. Una Mujer, c’est un coeur offert en pleine soleil.

Michèle Fernandez (vcl, ss, tambourin, arr), Bruno Allary (g, chœur, arr), Isabelle Courroy (flûte pastorale des Balkans, acc), Nasser Soltani (perc, sanza, chœur, arr) Zheni Meria (piano), Patrick Boronat (cello), Charly Thomas (b)