Il manquait, pour compléter le parcours de chacune de ces sensibilités éparses, éclectiques mais apparemment antithétiques, la rencontre de l’une et de l’autre. Solal et Portal donc, deux des très rares musiciens français dits de jazz dont la réalisation individuelle ne doit à peu près rien à personne hormis eux-mêmes, les influences des « grands » de l’histoire de la discipline étant, dans chacun des deux cas, assimilées en pair, et resservies uniquement à titre de pirouettes complices et maîtrisées. Qu’il se produise en concertiste contemporain chez Luciano Berio (Laborintus), en formation free en 72 (Splendid yzlment), en solo au début des années 80 (Dejarme solo), en electric band en 86 puis 93 (Any way), ou bien en duo l’année passée avec Richard Galliano, Portal a grand mal à s’abstraire à cette introspection à la fois torturée et incantatoire qui le caractérise. Même festif, même détaché, même oublieux, il reste fondamentalement soucieux et cérébral.
Quant à Martial Solal (Jazzpar Prize 1998), fût-ce dans le Paris post-bop des années 60, à la tête de son big band, en duo avec Didier Lockwood ou en solo, ses facéties de virtuose saltimbanque emportent toujours la mise. Il paraît en effet difficile à quiconque côtoyant la bête de ne pas se plier à son diktat de l’emberlificotement qui est aussi celui, imparable et désarmant, de l’humour.

Aussi sur ce CD, la tâche paraît-elle ardue pour Portal, dont la langue blessée, éructée sous le coup de l’urgence, si complexe et multiple soit-elle, semble sourire un peu jaune face à la placidité virevoltante de son interlocuteur, tout en énigmes et entrelacs verbaux. C’est d’ailleurs tout l’intérêt de cet opus, où la conversion de l’un par l’autre se fait dans sa réticence somme toute enjouée, orgueilleuse, jamais capitulante, jusqu’au sourire commun. Les intéressés ne pouvaient pas rater leur affaire, c’est désormais chose faite.

Martial Solal, piano ; Michel Portal, clarinette basse, clarinette, saxophones alto et soprano.

1) Fast mood – 2) Duo à trois voix – 3) Solitudes – 4) BMG N°5 – 5) Quand les chlamydes sont fatiguées – 6) Long space – 7) Domimonk – 8) Zag zig – 9) Rien d’un blues – 10) Petites phrases – 11) Allegro spiritual – 12) Walkin’