Cette troisième publication de Lévinas au catalogue Accord complète les deux précédentes en proposant, après un opéra et de la musique orchestrale ou concertante, une traversée de sa musique de chambre. Variée tant au plan des effectifs (du solo au petit ensemble) et des  » genres  » (musique vocale, instrumentale soliste, quatuor…), qu’à celui de la chronologie -puisque cette sélection confronte à des productions du début de la carrière du compositeur (Arsis et Thésis ou la chanson du souffle, 1971) des pièces toutes récentes (Les lettres enlacées II date de l’an passé)-, cette anthologie séduit en outre par sa manière d’illustrer un parcours tout en manifestant un éclairage mutuel des pièces. Si l’on rétablit une succession que l’édition bouscule avec bonheur, on appréciera dans Arsis et Thésis et les Froissements d’ailes (1975), tous deux pour flûte solo, l’élégance d’une écriture qui ne néglige pas la vieille problématique de l’imitation (en une période si l’on s’en souvient où la question de l’autonomie de l’art faisait fureur), mais accepte de relever ce défi pour le dépasser par un traitement de l’instrument qui en appelle à toutes les techniques bruitistes. Plongeant au cœur du souffle, Lévinas parvient, à l’instar d’un Matisse, à établir une continuité remarquable entre une prise en charge du réel sonore (à travers même un  » argument « ), et la forme abstraite qu’il en tire, volant des ses propres ailes, bien relayé en cela par Catherine Binard, disparue jeune, à la mémoire de qui cet enregistrement est dédié. Trois poèmes d’Aragon mettront pareillement en valeur l’abattage d’une autre interprète exceptionnelle, la pétulante mezzo Roula Safar.

Les choix du compositeur, que son respect des mots conduit à varier du tout au tout, révèlent un grand tact. Les mélodies se font transparentes pour livrer tels quels, sans les dénaturer, les effets textuels dont le pittoresque (les rimes de Le pont de C) ne fait pas écran à l’émotion pudique. Cette virtuosité dans la conception qui dispose discrètement, comme tout grand classicisme, d’une variété de moyens semble-t-il infinie, trouve son illustration dans les pièces les plus récentes. Les lettres enlacées II, pour alto solo, manifeste, comme d’ailleurs le Quatuor, la grande maturité de Lévinas chez qui le raffinement de l’écriture, l’hyperrationalité des procédures (ici le tissu serré d’un  » micro-contrepoint  » qui lisse et unifie l’espace et le son, facilitant la saisie de l’œuvre) aboutissent à un résultat sonore d’une belle simplicité apparente, offerte à la jouissance immédiate. Le Quatuor n°1, production la plus récente, figure en ouverture de programme. Il porte à son comble cette clarté de dessein qui jamais ne s’étiole dans la complexité de la mise en œuvre. Fascination du son, goût de l’architecture, des effets troublants mais dominés, sous-tendent ses quatre moments (Oscillations, Deuxième mouvement, Réitération/modification, Deuxième réitération/Boogie-woogie). Sa diégèse conduit, par un hoquet (Deuxième mouvement), un jeu de contrastes et de tensions internes garant d’un dynamisme organique, de glissandi fermement appuyés sur le grave à un accord égrené dans le vide, suspendu dans son mouvement de disparition. La lisibilité qui englobe la totalité de la musique proposée jointe à l’attrait de ses fastes sonores saura séduire le béotien comme le connaisseur.

Quatuor à cordes n°1 : Ensemble Musiques Nouvelles : Éric Robberecht, Igor Semenoff (v), Paul de Clerck (alto), Jean-Paul Dessy (vcelle) ; Les lettres enlacées II : Christophe Desjardins (alto) ; Froissements d’ailes et Arsis et Thésis, ou la chanson du souffle : Catherine Binard (fl) ; Les  » Aragons  » (Les Yeux d’Elsa, Le Pont de C, Elsa Valse) : Roula Safar (mezzo-soprano), Ensemble Musiques Nouvelles, dir. Patrick Davin.