Dans notre morne époque post-moderne, la nouveauté en musique ne semble plus être une affaire de nouveauté, mais plutôt une affaire de recyclage créatif, de déclinaison inédite. Ceux qui se démarquent ne sont plus ceux qui inventent à proprement parler, mais ceux qui déphasent et décalent le préexistant avec le plus de brio, d’attitude, et, peut être, d’inventivité.

Metro Area, duo formé du peu connu Darshan Jesrani et du déjà culte Morgan Geist (sorte de Si Begg américain, qui fait subir depuis quelques années de passionnantes mutations à la techno US via le label britannique Ferox), fait double événement, puisque non seulement il décline avec brio, mais qu’en plus il s’attaque, en pleine extasie 80’s, à des genres peu revisités, ceux-là même dont la rencontre donna naissance à la house music. Disco, philly sound, funk synthétique, rare groove, electro hip-hop, electropop, latin funk : nous sommes en plein dans la soupe primordiale, celle des playlists des radios et des clubs qui abreuvaient les oreilles de Pierre, Lil Louis, Frankie Knuckles, et Juan Atkins, bien avant le grand schisme hip-hop/house music de la fin des 80’s, bien avant que la house ne soit cristallisée autour de schèmes esthétiques et structurels qui la rendent aujourd’hui si ennuyeuse.

Se fraient donc, dans les méandres d’une electro house minimale à la production ample, old-school et claquante très éloignée de la donne futuriste, violons disco (Dance reaction), couacs de synthé façon Detroit (Atmosphrique), digressions latin (Pina), guitares funk 80s (Soft hoop) et envolées electropop (les basslines malicieuses de Miura ou Lets’ get), et c’est toute la dance du milieu des 80’s qui revit sous les coups de butoir virtuoses de ces deux jeunes new-yorkais très, très (trop ?) cultivés. Le travail est donc d’abord celui, admirable, scientifique, d’historiens fossoyeurs : les deux compères mettent à jour les correspondances, les interpénétrations, les réseaux. C’est lettré, classe, passionnant. C’est ensuite celui de deux musiciens passionnés, qui animent leurs raccourcis d’un rare sens musical, loin des écheveaux de la house actuelle : c’est là que le plaisir, régressif, inquiète un peu. Parce que le référentiel, cet art de la citation, est bien le fléau de la musique actuelle. Et contre ce dernier, l’électronique était le dernier rempart. Ici, nous sommes in extremis sauvés par quelques trouvailles de production, un sens du minimalisme somme toute bien contemporain et directement hérité des cousins allemands. Ce qui sauve aussi le disque et qui nous séduit immédiatement, c’est le caractère artisanal du projet, loin des opulentes et dégoulinantes productions new-yorkaises (cf. Nu Yorican Soul, spin-off des Masters At Work, dont la verve expérimentale se perdait dans le luxe des arrangements). Enfin, ce qui justifie la note élevée de notre chronique, c’est probablement le sens du timing, absolument parfait, du duo, dont l’album arrive à point nommé, dans la foulée d’un revival disco punk qui montre déjà quelques signes essoufflement… Il est d’ailleurs intéressant de noter les filiations entretenues par Metro Area avec ses comparses new-yorkais de The Rapture ou de Radio 4, qui explorent en quelque sorte le versant blanc de la dance music du début des 80’s, avec à peine quelques années de décalage. Metro Area signe donc un disque jouissif, intello, brillant, doublé d’un objet tendance ultime… jusqu’à dans deux mois.