Après le monumental Desesperanza, Salvadora Robot marque le retour attendu de(s) Meridian Brothers. Le pluriel n’est valable que pour la formation sur scène, se composant de María Valencia (clarinette, saxophone et synthés), Alejandro Forero (claviers), César Quevedo (basse), Damien Ponce (batterie, percussions, sosie officiel de Manu Payet) et donc, car il s’agit de SON projet, du chanteur-leader-compositeur-multi-instrumentiste Eblis Álvarez. Le parcours atypique de ce jeune homme colombien de 37 ans, venu du Conservatoire, un temps exilé au Danemark, n’est pas sans intérêt. Compositeur de musique classique et contemporaine, un temps chanteur de temple protestant, activiste de l’underground en Colombie, un des 42 musiciens du pharaonique projet Ondatrópica, membre de Frente Cumbiero (à découvrir d’urgence), de Los Pirañas (l’album Toma tu jabón kapax vaut également le détour) et donc âme de(s) Meridian Brothers, qu’il qualifie de « terrain de jeu », de « laboratoire personnel ». Parti sans objectif précis mais du principe clair qu’un bon morceau est un morceau qui doit le faire rire, Eblis Álvarez compose tout et enregistre chaque instrument. Il sort donc avec Salvadora Robot le cinquième disque de son projet-solo.

Les sources d’inspiration d’Álvarez sont variées : salsa africaine (qu’il juge plus mélodieuse), merengue, musique caribéenne, cumbia, salsa latina, etc. Les structures de(s) Meridian Brothers peuvent évoquer Devo ou les Residents, certes, Os Mutantes pour un certain état d’esprit, mais restent diablement personnelles et improbables.  Il s’avère impossible d’étiqueter avec certitude ce projet musical : psychotropicalisme, exotica perché ? Il convient de préciser que toute cette folie est garantie par son auteur sans drogue, loin des fantasmes européens. L’américanité de la musique de(s) Meridian Brothers est évidente par sa proximité d’un réalisme magique digne de Julio Cortázar, pour l’expérimentation, l’inclusion d’aspects fantastiques et de touches surréalistes. Les thèmes abordés dans les textes ont globalement plus de lien avec la sphère hispanique du continent américain que dans les précédents disques (De Mi Caballo, Como Su Carne  ou El Gran Pájaro De Los Andes ) ; plus d’OVNI, de zombie en noir et blanc, d’allusions au cinéma de Michael Curtiz ou de James Whale…

On ne peut qu’être impressionné par la virtuosité de Salvadora Robot : les inspirations traditionnelles sont à la fois respectées et dénaturées, les rythmiques sont altérées mais cohérentes, les tempos parfois accélérés (ce qui est une spécialité de la scène salsera de Cali). Electro et instruments se complètent et se croisent, la guitare sonne parfois comme un clavier jouet, résultat d’une trentaine d’effets différents, va et vient pour relayer un chant maltraité, trafiqué, pitché et démultiplié par un écho systématique, basé sur des textes incongrus, percussions et batterie encadrent des rythmes électroniques et déchirent les conventions percussives, des sons et des sonorités surgissent de nulle part.

Ce disque est la démonstration de l’immense talent d’Eblis Álvarez, car manipuler rythmes latinos et psychédélisme sans tomber dans le cliché est une gageure impressionante. Il est question de salsa, de cumbia, de merengue ( Somos los residentes ) et de vallenato bien sûr, mais également de reggaetón (Baile Ultimo Del Preso Que Va A La Silla Eléctrica Por Ofensa A La Moral Colombiana ). Composé de mille pièces, la cohérence de l’ensemble permet d’affirmer que Salvadora Robot surpasse ses prédécesseurs, par une production soignée et faussement bancale et un groove omniprésent et irrémédiablement dansant. Pochette-surprise du mois, cet album se révèle aussi attachant, excentrique et inventif que son géniteur.