La collection « Nouveaux interprètes » assure depuis un certain nombre d’années une œuvre salutaire dans l’édition discographique française. Parmi les interprètes révélés, citons en autres les pianistes Nicolas Angelich et François-Frédéric Guy, le hautboïste François Leleux et le violoncelliste Jean-Guihen Queyras. La parole est aujourd’hui à un jeune duo russe, français d’adoption, au tempérament bien trempé. Dans un programme, aussi original qu’attachant, ils font preuve d’une grande maîtrise quant à leurs intentions musicales. L’aplomb avec lequel ils tiennent leur entreprise est ainsi largement estimable. Cependant tout le disque n’est pas de la même tenue. Ou plus exactement, le mouvement va crescendo.

En effet Tzigane, qui ouvre le bal, ne comble pas véritablement. Si l’attaque de Mourja est proprement saisissante, il perd un peu le rythme en voulant tout contrôlé. C’est d’ailleurs un des reproches que l’on pourrait faire à l’ensemble des interprétations : un léger manque de folie de la part du violoniste. Car Rozanova essaie bien de secouer, de bouleverser l’atmosphère de Tzigane. En vain. Il s’ensuit même un léger décalage, une mésentente de tempo. La Sonate de Ravel, un petit bijou, souffre moins de ces défauts. Le Blues, avec ses réminiscences de l’Enfant et les sortilèges, dégage une assurance incontestable. Si l’équilibre n’est pas toujours idéal, il n’en reste pas moins qu’ils parviennent parfaitement à rendre l’insolence de cette musique.

La Sonate de Schnittke est le prototype de l’œuvre sous influence. Prokofiev et Chostakovitch sont les pères déclarés de cette sonate. Leurs Sonates pour violon, servies génialement par Oïstrakh, sont des jalons essentiels de la musique de chambre russe de ce siècle. Schnittke s’impose moins évidemment. Néanmoins, on ne peut pas ignorer la saveur particulière qui anime les interprètes ; Rozanova semble même prendre le dessus par rapport à Mourja. La précision de ses attaques, la finesse de son toucher en font plus qu’une compagne. Quoi qu’il en soit, ils ont gardé le meilleur pour la fin. Le diptyque de Szymanowski qu’ils nous font découvrir couronne cet enregistrement. Outre les difficultés techniques, Mourja se laisse prendre à cette musique endiablée, faisant tournoyer les notes, les couleurs orientales. Rozanova se fait alors féline, sensuelle, accrocheuse. En définitive, la peur de trahir un Ravel, musicien français, leur fait rater une partie souterraine, violente et suave, de cette musique. En revanche leur caractère naturellement tourné vers une certaine exubérance trouve son accomplissement dans la musique de Schnittke et Szymanowski. Une fois de plus, voici l’illustration de l’impossibilité musicale de renier ses origines.

(1) Tzigane pour violon et piano ; Sonate pour violon et piano en sol majeur
(2) Sonate n°1 pour violon et piano
(3) Nocturne et Tarentelle op. 28